Parce que la Santé Sexuelle est un enjeu de société
On classe communément la sexualité au rang de l’intime, des questions qui concernent l’individu seul et n’auraient pas de place dans l’espace public. « Parler de sexualité est difficile », constate Valérie. « On craint souvent ce que cela pourrait révéler de nous, de nos pratiques sexuelles, de nos croyances, et l’on craint d’entrer en conflit avec celles des autres. » Cependant, la sexualité est éminemment sociale en ce qu’elle est affaire de relations – ne parle-t-on pas de relations sexuelles ? Elle est une composante fondamentale de l’expérience humaine et doit pouvoir être menée dans le respect de l’intégrité physique et psychique des personnes.
Une notion définie par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS)
En ce sens, l’OMS a conceptualisé la notion de santé sexuelle, énoncée en 1975 et réaffirmée en 2002 :
- « La santé sexuelle est un état de bien-être physique, émotionnel, mental et social en matière de sexualité, ce n’est pas seulement l’absence de maladie, de dysfonctionnement ou d’infirmité. La santé sexuelle exige une approche positive et respectueuse de la sexualité et des relations sexuelles, ainsi que la possibilité d’avoir des expériences sexuelles agréables et sécuritaires, sans coercition, ni discrimination et ni violence. Pour atteindre et maintenir une bonne santé sexuelle, les droits humains et droits sexuels de toutes les personnes doivent être respectés, protégés et réalisés. »
En France, une stratégie nationale de santé sexuelle
« Très peu de professionnels le savent », explique Valérie, « mais le Haut Conseil de la santé publique a défini une stratégie de santé sexuelle et reproductive, avec des objectifs précis et un agenda qui court de 2017 à 2030 ». Le programme vise notamment à limiter les infections sexuellement transmissibles (IST), améliorer l’accès à la santé de la reproduction (contraception, fertilité) et à prendre en compte les populations aux besoins particuliers (personnes âgées, institutionnalisées, incarcérées, atteintes du VIH, etc.).
Et Valérie de nous préciser : « Il s’agit d’un programme interministériel, qui concerne donc tous les domaines de la société : le médico-social, le juridique, l’éducation… »
La santé sexuelle est donc bien plus qu’une affaire privée – un enjeu politique et sociétal.
Malgré les freins, je dispose de leviers pour parler de Sexualité
Le paradoxe interroge : pourquoi une initiative d’une telle ampleur est-elle si peu connue du grand public, mais aussi des acteurs supposés la mettre en œuvre ?
Pour Valérie, cela réside dans la difficulté, évoquée plus haut, à parler de sexualité. Cependant, si les freins sont réels, elle identifie de puissants leviers chez les professionnels pour aborder ce sujet délicat.
Quels freins pour aborder la santé sexuelle et reproductive ?
Afin d’illustrer la réticence de certains acteurs, Valérie nous partage une anecdote issue de sa pratique. Sollicitée par un centre hospitalier pour animer un atelier sur la sexualité, elle est surprise du très petit nombre d’inscrits – 3, 4 personnes, alors même que l’établissement accueille des patients atteints du VIH. « Les participants m’ont confié que leur inscription à cet l’atelier, le fait d’avoir apposé leur nom sur la liste affichée et visible par tous n’avait pas été facile à assumer. Je retiens de cette expérience que montrer un intérêt pour le sujet de la sexualité nous expose au jugement des autres », raconte-t-elle.
La sexualité apparaît comme un tabou, comprendre par là, un sujet qu’il serait malséant d’évoquer, en vertu des convenances sociales ou morales (Larousse), une thématique honteuse. En l’abordant, les soignants et les travailleurs sociaux redoutent de gêner l’autre, d’être intrusifs – ou bien sont eux-mêmes peu à l’aise, peinent à trouver les mots, les réponses justes.
Quels leviers pour accompagner autrui dans sa vie affective et sexuelle ?
« J’ai coutume de dire que les professionnels sont frappés d’incapacité dès qu’il s’agit de sexualité », décrit Valérie, « comme si le sujet effaçait soudain toutes leurs compétences ». Alors même que, selon la sexologue et formatrice, chacun dispose des outils nécessaires pour évoquer la santé sexuelle : ceux de sa formation initiale. « Il s’agit des outils de la relation d’aide. Lorsque j’anime des stages ou ateliers, je reconnecte les participants à l’écoute active, la reformulation, l’empathie », explique-t-elle.
L’essentiel réside donc dans la posture professionnelle : « ce n’est pas grave de ne pas être à l’aise, tant que l’on adopte une posture d’écoute, non jugeante, et que l’on sait réorienter la personne vers un spécialiste » (gynécologue, sage-femme, centre de Santé Sexuelle, etc.).
Cette posture s’étaye par la maîtrise des techniques d’entretien et l’acquisition de connaissances et références en santé sexuelle. Il est aussi important de poser ses propres limites et de se construire un réseau de collègues experts pour se sentir moins seul.
Je contribue ainsi à l’Éducation Sexuelle des populations
Lorsque nous avons demandé à Valérie quels étaient les garants de la santé sexuelle, celle-ci a insisté sur l’importance de l’éducation sexuelle dès le plus jeune âge. En effet, la méconnaissance de la sexualité, entretenue par une parole entravée, génère des violences sexuelles. En osant parler de sexe dans une démarche éducative, le professionnel favorise les comportements sexuels respectueux et contribue à améliorer la santé sexuelle des personnes.
J’éduque à l’importance du consentement
Le terme a été popularisé par le récit de Vanessa Springora, Le Consentement (Grasset, 2020), où l’autrice raconte l’emprise exercée par un homme de 50 ans sur l’adolescente de 14 ans qu’elle était. On parle de consentement sexuel lorsqu’une personne accepte une relation ou une pratique sexuelle proposée par une autre. Il s’agit d’un prérequis indispensable à toute relation intime, au risque de basculer dans l’agression sexuelle.
« Le consentement ne doit jamais être présumé », souligne Valérie. « Il peut être donné et retiré à tout moment, et doit donc être vérifié ». Il doit être explicite mais aussi éclairé, de sorte que la personne sache réellement ce qu’elle accepte – ce qu’un état de vulnérabilité (âge, pathologie physique ou psychique, etc.) peut compromettre.
Je mobilise les bons outils contre les violences sexuelles
En mars 2024, le Conseil supérieur des programmes, missionné par le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, publiait un programme d’éducation à la sexualité de la maternelle à la terminale. Si cet intitulé peut inquiéter certains parents et enseignants, Valérie rappelle qu’il s’agit d’éduquer les enfants au respect d’eux-mêmes et des autres, et ce dans le but de les protéger des violences. « Il m’arrive d’intervenir dans les écoles : c’est très encadré, il y a des agréments » nous précise-t-elle.
Bien sûr, la sexualité n’est pas abordée de la même manière avec les jeunes enfants et les adolescents. Les plus petits apprennent à nommer les parties du corps (pénis, vulve, etc.) quand les lycéens réfléchissent sur la notion de « zone grise ».
Aborder l’intimité et les discriminations sexuelles avec les plus jeunes
À titre d’exemple, pour un public d’enfants de 7 à 12 ans, les professionnels pourront se tourner vers les vidéos de Vinz et Lou, soutenues par le ministère, avec des thématiques comme les stéréotypes filles / garçons, la protection de son intimité ou « pourquoi le porno c’est pas pour nous ».
Sensibiliser au consentement dès le début de la vie sexuelle
Avec un public adolescent, les vidéos Tea Consent (Thé et consentement, version originale par Blue Seat Studios) et Sexualités et consentement : la zone grise réalisée par l’Espace Santé Étudiants Bordeaux (Université de Bordeaux) invitent à lever toute ambiguïté quant au consentement. « Lorsque vous n’êtes pas sûr(e) des envies de l’autre, il faut toujours lui demander de les exprimer clairement », résume Valérie.
Je me forme à la santé sexuelle
Le manque de formation peut également constituer un frein à l’évocation de la sexualité. Du côté du professionnel, un manque de connaissances objectives conduit à analyser une situation à partir de sa propre expérience, ce qui nuit à l’empathie et au non-jugement. La personne accompagnée, quant à elle, ne se livrera qu’à un interlocuteur susceptible de la comprendre et d’appréhender sa réalité.
Mais au-delà des savoirs théoriques, la formation est un espace de ressources et de motivation. « 2 jours peuvent suffire » témoigne Valérie. Les professionnels qui viennent se former ont envie de mettre en place des actions, mais souvent se sentent seuls. « Après quelques échanges, la porte est ouverte. Certains stagiaires me recontactent pour avoir des conseils dans la mise en œuvre de leur projet. Il ne leur manquait qu’un peu de soutien pour se lancer ! »
Malgré les entraves sociales et personnelles, le professionnel dispose de bien des ressources pour aborder la santé sexuelle. Des savoir-être de la relation d’aide aux formations dédiées, des outils existent pour un accompagnement fructueux.
Infirmière de formation, Valérie JUNES-GUYAUX est sexologue consultante et formatrice libérale. Dans le cadre de sa pratique, elle reçoit des couples et des individus pour les accompagner dans leur santé sexuelle. Nous la remercions pour sa précieuse collaboration à cet article.