Comprendre les violences sexuelles chez les enfants et les ados aujourd’hui
Une meilleure compréhension des violences sexuelles commence par une définition claire du terme. Quelques chiffres issus d’enquêtes nationales nous aideront à mieux appréhender l’ampleur et la nature des violences sexuelles chez les enfants. À partir de ces données, nous verrons comment le manque d’éducation sexuelle contribue à perpétuer ces agressions.
Comment définir les violences sexuelles ?
Selon le site du gouvernement français arretonslesviolences.gouv : « Les violences à caractère sexuel recouvrent les situations dans lesquelles une personne impose à autrui un ou des comportements, un ou des propos (oral ou écrit) à caractère sexuel. »
Un acte sexuel en dépit du consentement de l’autre
Ainsi, l’expression désigne toutes les formes de violence, qu’elles soient physiques ou psychologiques, qui se manifestent de façon sexuelle : agression sexuelle, cyberviolence sexuelle, harcèlement, proxénétisme, exhibitionnisme, voyeurisme…
Elles sont l’expression d’une volonté de domination de l’agresseur sur la victime. L’agresseur agit en dépit du consentement de la personne, c’est-à-dire qu’il passe à l’acte sans chercher à savoir si l’autre désire être exposé au comportement sexuel. Il peut d’ailleurs imposer ce comportement à une personne qui n’est pas en état ou en capacité d’exprimer son consentement. Tel est le cas des enfants.
Les violences sexuelles sont punies par la loi
Ces violences portent atteinte à l’intégrité physique et psychologique de la personne, qui constitue un droit fondamental. Elles ont des conséquences graves et durables sur celui ou celle qui en est ou en a été victime. Elles sont donc interdites par la loi et sanctionnées pénalement.
Violences sexuelles chez les mineurs : quelles spécificités ?
Menées par la justice ou par les associations, les enquêtes auprès de jeunes victimes et auteurs donnent à voir les spécificités des violences sexuelles chez les mineurs.
Des enfants victimes…
Une enquête de 2019, conduite par Ipsos pour l’association Mémoire traumatique et victimologie, montre que les enfants sont les principales victimes de violences sexuelles. On estime que 130 000 filles et 35 000 garçons subissent des viols ou tentatives de viols chaque année. Les filles sont donc les premières concernées.
Toujours selon cette étude, les violences sont en majorité incestueuses, c’est-à-dire qu’elles se produisent dans le cadre familial. L’enfant est en moyenne âgé de 10 ans au moment des premières violences. Quant à l’agresseur, dans 9 cas sur 10, il s’agit d’un homme. Dans 30 % des cas, celui-ci est mineur.
… aux mineurs agresseurs
En octobre 2022, la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) publie un rapport sur les mineurs auteurs d’infractions à caractère sexuel. Cette recherche a pour objectif d’actualiser les connaissances judiciaires sur le sujet et de faire connaître les dispositifs de prise en charge de ces jeunes agresseurs.
Contrairement à l’étude précédemment citée, qui vise à dresser un état des lieux des violences sexuelles dans l’ensemble de la société, celle de la PJJ s’intéresse spécifiquement aux affaires judiciaires. Seuls les cas de violences présumées présentés devant les tribunaux sont pris en compte.
Ainsi, la PJJ établit que 49 % des mis en cause dans les affaires d’agressions sexuelles sur mineur sont eux-mêmes mineurs au moment des faits. Si les profils d’agresseurs sont variés, très peu d’entre eux présentent des troubles psychiatriques ou des comportements dits « de prédation ». Mais alors, comment expliquer le passage à l’acte ?
Le manque d’éducation sexuelle comme facteur de violence
Selon Isabelle, les violences sexuelles sont avant tout un enjeu d’éducation et de santé sexuelle – « pour les jeunes agressés qui ne se rendent pas compte tout de suite qu’ils le sont, et pour les jeunes agresseurs qui n’ont pas conscience qu’ils entretiennent des modalités relationnelles inadaptées ».
Isabelle observe que les jeunes accueillis sont très mal informés sur la sexualité. Pour autant, de nombreux professionnels sont réticents à aborder ces questions avec eux. Les raisons de ce malaise sont multiples. D’une part, certaines familles ne veulent pas que le sujet soit discuté avec leur enfant et reprochent au travailleur social de l’évoquer avec lui. D’autre part, certains professionnels refusent de parler de sexualité, au nom de leurs convictions religieuses, par crainte d’éveiller chez les jeunes des pulsions incontrôlables, par exemple. « Le problème, c’est que cette mise à distance voire ce rejet de la sexualité entraîne un problème d’élaboration chez le jeune et peut générer ainsi de la violence. On ne peut pas reprocher à un jeune de se débrouiller tout seul avec le sujet de la sexualité alors qu’aucun adulte ne s’assoit à ses côtés pour en causer. Il existe de nombreux outils pour aborder le sujet », explique Isabelle.
Il ne s’agit pas de juger de la foi ou des préférences éducatives de chacun, mais d’observer les conséquences d’un tel tabou. La plupart des institutions souhaitent aborder cette thématique mais se retrouvent le plus impuissantes par manque de savoir-faire et/ou de moyens.
Dans le rapport de la PJJ, la réticence à parler de sexualité est ainsi identifiée comme un frein au soin des auteurs de violence. Elle maintient aussi les victimes dans l’ignorance des pratiques sexuelles acceptables et les conduit à considérer comme « normaux » des comportements qui ne le sont pas. La position d’Isabelle est très claire : « Les institutions ont un devoir de prévention. Refuser d’évoquer la sexualité avec les enfants et les adolescents, c’est de la négligence dans le sens où cela laisse en l’état la désinformation que produisent l’inceste et les violences sexuelles sur les enfants et adolescents victimes ».
Lire aussi : Comment aborder la sexualité des ados en institution ?
Accompagner les mineurs victimes ou auteurs de violences sexuelles
Les professionnels font face à de nombreuses difficultés de prise en charge : problème d’accès aux soins, manque de formation et d’outils, difficulté à faire émerger et à accueillir la parole… Isabelle nous propose quelques pistes, concrètes et mobilisables rapidement, pour accompagner les jeunes victimes ou auteurs de violences sexuelles.
Accompagner les victimes de violences sexuelles
L’enjeu est de faire émerger leur parole et surtout, de l’accueillir de manière efficiente. Comme le précise l’enquête publiée par Mémoire traumatique…, les jeunes victimes ont souvent honte et ne savent pas comment ni à qui parler de ce qu’ils ont subi ou subissent encore. De plus, interroger un enfant demande de bien connaître son développement, car sa perception de la réalité, notamment du temps, n’est pas la même que celle d’un adulte. Si Isabelle recommande de parler sans détour, le questionnement ne doit pas non plus influencer le discours de l’enfant. Pour une méthodologie précise, elle conseille le livre de Mireille Cyr, Recueillir la parole de l’enfant témoin ou victime.
Après les révélations, le témoignage de l’enfant doit être retranscrit le plus fidèlement possible par le professionnel. Il peut alors suivre les recommandations de bonne pratique de la Haute Autorité de Santé ou de l’Ordre des médecins. Selon les cas, ce témoignage pourra être transmis :
- à la Cellule de Recueil des Informations Préoccupantes (CRIP),
- au Procureur de la République dans le cadre d’un signalement.
HAS : repérage et signalement maltraitance
Accompagner les auteurs d’infraction sexuelle
Face à la loi
L’accès aux soins reste compliqué pour les mineurs auteurs de violences sexuelles. Les unités spécialisées sont rares et les services de pédiatrie saturés. De plus, ce public est souvent stigmatisé. Les agresseurs sont alors abordés sous le masque de la perversion, du monstrueux, par les pairs comme par les soignants. Certaines structures sont ainsi réticentes à les accueillir.
Pourtant, lorsqu’il y a prise en charge, les résultats sont probants : le taux de récidive des mineurs condamnés pour infraction sexuelle est de 0,3 % (contre 2,2 % pour l’ensemble des mineurs condamnés). Isabelle explique : « Le soin de ces jeunes passe souvent par l’éducation sexuelle, comme l’indique le rapport de la PJJ, mais aussi par une réintégration de la loi ». Beaucoup d’entre eux ont en effet grandi dans l’ignorance ou le mépris de celle-ci, au sein d’un univers où la loi familiale a plus de poids que la loi sociale. Un rappel à la loi, par le biais d’un passage devant le juge (mais pas que), peut contribuer à empêcher un nouveau passage à l’acte.
Et au quotidien
« Il existe plein d’outils d’accompagnement des agresseurs, mais ils sont très peu connus », déplore Isabelle. Les professionnels peuvent ainsi se tourner vers les Centres Ressources pour les Intervenants auprès des Auteurs de Violences Sexuelles (CRIAVS). Ces structures sont des lieux de soutien, de recours et d’intervention. Les équipes assurent un travail de veille pour transmettre aux intervenants les derniers outils d’évaluation et de soin.
Par ailleurs, il est intéressant de noter que les auteurs de violences sexuelles peuvent être ou avoir été victimes. Les travaux des chercheuses Alison Gray et Monique Tardif montrent que ces jeunes sont plus susceptibles que les autres d’avoir vécu des violences intrafamiliales précoces. Le professionnel doit en tenir compte dans ses échanges avec le mineur accompagné. Par exemple, en entretien avec un jeune agresseur, Isabelle a pu demander : « Est-ce que quelqu’un t’a fait du mal ? » ou encore « Comment tu t’expliques ce que tu as fait ? ». Le questionnement s’effectue en fonction du contexte de l’entretien, de l’avancée de l’affaire au pénal (si c’est le cas). Il est réfléchi en fonction de l’avancée du travail effectué par le jeune, notamment sur ses émotions.
Un travailleur social, précise Isabelle, ne doit pas oublier qu’il se situe du côté de l’aide et non du contrôle. Il n’est pas enquêteur (sauf mandat particulier), ni auprès du jeune, ni auprès de la famille. Au-delà du partenariat interprofessionnel et du réseau à se construire pour ne pas rester seul à prendre en charge ces problématiques, le travail avec la famille est un axe fondamental. L’inceste, en tant que « pathologie familiale », touche tous les membres d’une famille.
Si la question des violences sexuelles chez les enfants est très documentée, le sujet reste méconnu du grand public et trop peu investi par les autorités. Pour Isabelle, la législation française est peu adaptée aux réalités : « par exemple, les familles d’accueil n’ont pas le droit d’entrer dans la salle d’audience, alors qu’elles accompagnent l’enfant au quotidien ». Elle s’inquiète surtout des résistances à faire évoluer la loi : « En Suisse, en Belgique, au Canada, les mesures ont suivi après #metoo. En France, tout est compliqué. Quel intérêt a-t-on à ne pas légiférer de manière spécifique sur l’inceste ? ». En ce qui nous concerne, nous sommes convaincus de la valeur du regard des professionnels sur ces questions. Entre observation scientifique, analyse critique et retour d’expérience, il participe largement à l’information des populations et à l’éveil des consciences.
Ressources
Outil du travail éducatif et social
CYR Mireille, Recueillir la parole de l’enfant témoin ou victime. De la théorie à la pratique, Dunod [Enfances], Paris, 2014.
Guide des bonnes pratiques du recueil de la parole de l’enfant, Commission Violences faites aux Enfants et Adolescents (CNVIF), février 2022.
Fiche mémo de la Haute Autorité de Santé, Maltraitance chez l’enfant : repérage et conduite à tenir, octobre 2014, mise à jour juillet 2017.