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Santé menstruelle : de quoi parle-t-on ?

Cet article propose quelques repères pour appréhender la notion de Santé Menstruelle.

Les règles : un enjeu d’hygiène et de santé publique

Certes, les menstruations constituent un important sujet d’hygiène intime, mais elles ne se limitent pas à cela. Les règles ont des implications physiques, psychologiques et sociales qui en font un véritable enjeu de santé publique.

Gestion hygiénique et précarité menstruelle

À travers le monde, certaines femmes et personnes trans sont contraintes d’utiliser des méthodes inconfortables ou dangereuses pour contenir le sang des menstrues. Papier journal, tissus sales ou qui boulochent, feuilles, boue… ; ces protections de fortune augmentent les risques d’infections urogénitales telles les infections urinaires, les vaginoses ou les mycoses. Elles peuvent aussi être à l’origine du syndrome du choc toxique, causé par la libération d’une toxine bactérienne dans le sang et favorisé par le mauvais usage de protections hygiéniques internes.

Ces situations ne concernent pas que les populations du tiers-monde, halte aux idées reçues ! En France, entre 1,5 et 2 millions d’individus n’auraient pas les moyens financiers de s’acheter des serviettes hygiéniques, tampons, coupes menstruelles ou autres protections décentes. On parle de précarité menstruelle. De plus, de nombreux produits disponibles sur le marché contiennent des substances toxiques, comme les serviettes blanchies au chlore.

Les règles impactent le bien-être et les droits des femmes

Mais les implications des règles dépassent la question de la propreté du corps. Les menstruations ont un impact physique, psychologique et social sur l’ensemble du parcours de vie d’une femme. Par exemple, le syndrome prémenstruel peut altérer son état émotionnel et la douleur ressentie au cours de son cycle peut l’empêcher de se rendre au travail.

Or, rappelons que la santé est définie par l’OMS comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. »

Tout phénomène impactant cet état dans ces 3 dimensions peut-être considéré comme un enjeu de santé – tel est le cas des menstruations. Et si la santé est un droit, la santé menstruelle l’est tout autant. La menacer, c’est mettre en péril des droits humains fondamentaux comme la non-discrimination, l’égalité, la dignité.

Ainsi, les rapports de l’OMS présentés lors du 50e Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies (juin-juillet 2022) retranscrivent le « sentiment de honte et d’embarras ressenti par les filles et les femmes » à l’égard de leurs règles. Selon leur culture ou le niveau de leur douleur, elles peuvent être contraintes de s’absenter de l’école ou du travail, ce qui conduit à une inégalité de représentation dans l’espace public vis-à-vis de leurs homologues masculins. Leur accès à l’éducation peut aussi être compromis : en Afrique subsaharienne, 1 fille sur 10 manque l’école pendant son cycle menstruel (soit 20 % du temps scolaire).

Au-delà de l’hygiène menstruelle, on peut donc parler de santé menstruelle en ce que les règles affectent toutes les dimensions de la vie des femmes : leur corps, leur bien-être mental mais aussi leurs droits.

La santé menstruelle est menacée par de nombreux préjugés

Or, des stéréotypes bien implantés menacent l’accès des femmes à la santé menstruelle. « Dans bien des sociétés, les règles constituent un tabou », souligne Valérie. Le refus d’évoquer le sujet complique la prise en charge des pathologies liées aux menstruations.

Osons briser le tabou des menstrues !

S’il est difficile de parler des règles, c’est parce qu’elles intriquent l’intimité, la sexualité et le sang, associé au corps souffrant. En résumé, elles nous renvoient à notre condition humaine dans ce qu’elle a de plus mystérieux et de plus cru, de la vie à la mort, de la naissance à la souffrance. Valérie souligne : « À cela s’associe une dépréciation du corps, surtout celui de la femme, héritée de certaines cultures religieuses ».

Les initiatives se multiplient pour rompre le silence et rendre aux règles la place qui leur revient dans le débat public. En 2014, la communauté internationale instaure une journée mondiale pour la santé, l’hygiène et la précarité menstruelle dans le but de donner de la visibilité à ces enjeux. La date choisie est celle du 28 mai : 28 comme le nombre moyen de jours d’un cycle menstruel, et mai pour le 5e mois de l’année, durée moyenne des règles.

Les soignants, les chercheurs, les artistes travaillent à une meilleure représentation des menstruations. Dans son film Mauvais sang, la réalisatrice Eléonore Greif interroge des femmes et des hommes sur leur expérience des règles. Ce documentaire révèle les enjeux sociétaux de la santé menstruelle, interrogeant la place du féminin et du masculin, l’accès à la contraception, etc.

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De la banalisation des règles douloureuses

Selon Valérie, « le préjugé le plus tenace reste celui lié à la douleur. Les femmes ont intériorisé l’idée que les règles font mal et qu’elles doivent se débrouiller avec ça ». En vertu du principe de santé menstruelle, toute personne menstruée doit pourtant pouvoir accéder au bien-être physique et bénéficier d’un traitement adapté pour soulager sa douleur. « En cas de règles douloureuses, on oriente très peu vers un sexologue », déplore Valérie.

Elle nous rappelle également qu’il n’est pas normal de souffrir pendant ses règles ou ses rapports sexuels. Cela peut même constituer le symptôme de troubles plus graves nécessitant une prise en charge. On pense par exemple à l’endométriose, cette maladie des tissus de l’utérus touchant 1 personne menstruée sur 10, et pour laquelle il est si difficile d’obtenir un diagnostic.

En somme, les préjugés menstruels menacent la santé des personnes concernées. Il est urgent d’en parler librement pour leur intégrité et leur sécurité.

L’ignorance menstruelle compromet la santé des femmes, des jeunes filles et des personnes trans

Le silence autour des règles empêche également l’éducation à la santé menstruelle. Si l’OMS réaffirme la nécessité d’informer les personnes menstruées sur tous les aspects des menstrues, la formation des professionnels de santé peut elle aussi être améliorée.

Comment expliquer les règles simplement à toutes et tous

Dans une interview accordée au podcast 100 tabou, Eléonore Greif s’exprime en faveur d’une éducation menstruelle dès la maternelle ou la primaire : « L’âge des premières règles est de plus en plus jeune, alors pour éviter un traumatisme, il est important d’informer le plus tôt possible. Et ce, quel que soit le genre. »

Bien sûr, le discours doit être adapté à l’âge de l’enfant. Il s’agit de donner quelques repères simples : avoir ses règles est une partie normale de la vie d’une femme, cela signifie (la plupart du temps) qu’elle peut être enceinte. Si l’enfant est assez grand·e pour comprendre la biologie des menstruations, vous pouvez la lui expliquer simplement :

  • Tous les 28 jours environ, l’un des ovaires fabrique un œuf susceptible de devenir un embryon, puis un fœtus, puis un bébé. C’est l’ovulation.
  • En même temps, des changements hormonaux préparent l’utérus à une potentielle grossesse ;
  • Si l’œuf n’est pas fécondé par un spermatozoïde lors d’un rapport sexuel, il est expulsé par le vagin en même temps que la muqueuse utérine (c’est-à-dire la paroi de l’utérus). Ce sont les règles.

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Pour les professionnels, la nécessité d’une formation en santé sexuelle

Ces éléments basiques peuvent être utilisés par tous, parents et professionnels non spécialistes (travailleurs sociaux, enseignants, etc.). Cependant, ils ne sont pas suffisants pour identifier des cas pathologiques. « Il est important d’informer les personnes menstruées sur les troubles associés aux règles pour qu’elles puissent signaler toute situation anormale à leur médecin », signale Valérie.

Entre préjugés et manque d’information

Mais les gynécologues et les médecins généralistes eux-mêmes sont parfois mal formés à la santé menstruelle. Ainsi, le rapport d’information de l’Assemblée nationale sur les menstruations (n° 2691, février 2020) préconise notamment de « mieux réguler la formation continue des professionnels de santé afin de garantir l’actualisation des connaissances médicales, notamment sur le sujet de l’endométriose, mais aussi sur les bonnes pratiques en matière de suivi gynécologique » (recommandation n° 37).

Si les bonnes informations ne sont pas toujours disponibles, c’est aussi parce que la recherche scientifique a tardé à s’emparer du sujet. Cela est encore plus vrai pour les règles des personnes transgenres et transsexuelles. D’ailleurs, bien souvent, ces patient·es peinent à évoquer la question en consultation de peur de ne pas être reconnu·es dans leur identité de genre.

La difficulté est double pour les soignants : ils doivent pouvoir transmettre les bonnes connaissances en adoptant une attitude facilitatrice, libérée des croyances sur les règles.

Quelle posture pour les soignants et les éducateurs ?

Pour Valérie, l’accompagnement à la santé menstruelle implique de se décentrer : « c’est vraiment la posture du professionnel qui compte. Pour entrer dans la relation d’aide, il doit mettre de côté sa vision du monde pour mieux entendre celle de l’autre, sa gêne, sa douleur, et tenter de les soulager ».

La santé menstruelle est plus qu’un problème d’hygiène : elle entretient des liens étroits avec les droits humains, les droits des femmes et des personnes trans. Seule l’éducation du grand public et des soignants peut venir à bout des clichés et améliorer la condition des personnes menstruées.

Infirmière de formation, Valérie JUNES-GUYAUX est sexologue consultante et formatrice libérale. Dans le cadre de sa pratique, elle reçoit des couples et des individus pour les accompagner dans leur santé sexuelle. Nous la remercions d’avoir contribué à la rédaction de cette ressource.