Donnez-nous du pain, mais donnez-nous des roses !
James Oppenheim, 1911.
La romancière Sophie Chabanel1 est invitée par le fonds Decitre2 à rejoindre les équipes du Samu Social de Lyon. Son rôle ? Accompagner les bénévoles lors de leurs maraudes pour proposer aux bénéficiaires, en plus du café et du colis alimentaire, des livres. Quelle drôle d’idée, lui rétorque un ami d’ami, des SDF qui lisent… tu connais pas la pyramide de Maslow3 ? Un préjugé bien vite démenti par la belle galerie de portraits dressés par l’autrice. Si Papi Toufik, marocain de Villeurbanne, dévore les S.A.S. avant d’aller se coucher, c’est pour mieux étudier le jésuite Teilhard de Chardin le reste de la journée. Leo, jamais sans son sac à dos, ne peut retenir une exclamation en voyant la caisse sortir du camion : « Ah, les livres ! ». Et ce Polonais qui ne jure que par Victor Hugo, alors que Sophie Chabanel confesse ne pas avoir lu Notre-Dame-de-Paris…
« Le livre rappelle que tout le monde pense, ça représente beaucoup » écrit-elle. Et si toutes les personnes rencontrées ne sont pas de grands lecteurs, qu’importe : le livre, comme le sandwich, est aussi un objet de médiation. Lors de sa création en 1993, le Samu Social s’est donné pour mission d’aller vers les personnes en situation de désocialisation et d’exclusion. Les bénévoles cherchent avant tout à créer du lien. Ainsi, les services proposés par les camions de maraudes sont accessibles à ceux qui renseignent leur prénom et acceptent d’échanger quelques mots avec les équipes. Il s’agit d’abord, comme l’écrit l’autrice, de « discuter » (p. 37).
Dans ce récit très juste, Sophie Chabanel pose un regard pertinent sur le monde de la rue et celui du travail social. Son témoignage met au jour les dynamiques nouvelles du champ de la précarité : les parcours douloureux des individus — 3/4 des SDF sont d’anciens enfants placés —, le nombre grandissant de femmes, d’enfants et de familles migrantes sans abri… Elle soulève aussi des questions éthiques qui résonneront chez les professionnels : est-il préférable de vouvoyer ou de tutoyer un bénéficiaire ? Un membre du Samu Social travaille-t-il d’abord pour la Croix-Rouge ou pour les pauvres ? Quelle place donner aux normes et aux règlements quand le travail est d’abord humain ? Sophie Chabanel éveille nos consciences et refuse le prêt-à-penser : « On accorde de l’humanité même au plus minable, mais on n’apporte pas de solution » (p. 86).
Un texte pour ceux qui vivent dedans et dehors, pour tous les travailleurs sociaux et ceux qui n’en sont pas… bref, un livre profondément humain !
Sophie Chabanel, Maraudes littéraires, L’Aube, 2021.
Sophie Chabanel rencontrera ses lecteurs à la Librairie Le Phare (Paris 12) le vendredi 19 novembre à 19h30. Venez nombreux !
Infos et réservations : librairie.lephare@gmail.com / 01 43 40 49 53
Librairie Le Phare
56 av. du Dr Arnold Netter
75012 Paris.
[1] Sophie Chabanel est l’autrice, entre autres, de La Griffe du chat (Seuil, 2018), Le Blues du chat (Seuil, 2019) et L’Emprise du chat (Seuil, 2020).
[2] Créé par le groupe-libraire Decitre en 2011, le fonds Decitre agit en faveur de l’accès au livre au travers de partenariats avec des associations comme les Restos du Cœur ou le Samu Social de la Croix-Rouge.
[3] Pour le psychologue Abraham Maslow, certains besoins humains sont plus importants que d’autres. Un individu qui ne peut pas satisfaire ses besoins physiologiques (manger, dormir au chaud…) ne serait pas en mesure de désirer le respect des autres ou l’épanouissement personnel par la culture. Cette théorie développée dans les années 1940 peut être remise en question par les témoignages des survivants des camps de concentration nazi, qui racontent comment la récitation de poèmes les a aidé à survivre à l’humiliation et à la douleur.
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