Depuis plusieurs années, en France, le secteur psychiatrique est en péril : suppression de postes, réduction du budget, regroupement de structures et… augmentation drastique du nombre de patients, plongent toute la filière dans la crise et épuisent les soignants.
CMP (centres médico-psychologiques) et hôpitaux psychiatriques
Lorsque l’on évoque la souffrance du secteur psychiatrique en France, deux types de structures sont principalement concernés : les CMP, pour centres médico-psychologiques, et les hôpitaux psychiatriques.
Les CMP sont des structures essentielles de la chaîne de soins dans le domaine de la santé mentale mises en place dans les années 60 et dont l’objectif était de déstigmatiser la psychiatrie traditionnelle. Elles proposent des consultations gratuites à toute personne souffrant de troubles psy, de la dépression aux maladies psychiatriques plus graves comme la schizophrénie par exemple. Les centres médico-psychologiques servent d’intermédiaires entre la médecine généraliste, qui est chargée d’orienter les malades vers les spécialistes, et les hôpitaux psychiatriques, qui font office d’ultime recours pour soigner les malades atteintes de troubles psy, c’est-à-dire l’hospitalisation.
Ces maillons, tous liés les uns aux autres, sont directement impactés par la crise de la santé que connaît actuellement le pays ce qui provoque, in fine, un « effet domino » qui aggrave la situation : les causes de la crise qui impacte les CMP se répercutent de façon inéluctable sur les hôpitaux psychiatriques.
Quelles sont les causes de la crise du secteur psychiatrique ?
Nombreuses, elles sont « heureusement » connues de la sphère publique mais peu d’actions de l’État ont permis à ce jour de résoudre le problème.
D’un côté, des économies de personnel avec la suppression ou le non-remplacement de psychologues ou de médecins psychiatres, et des regroupements de structures, voire pour certaines la disparition pure et simple, entraînent pour le personnel soignant un sentiment de débordement et augmentent la pénibilité de leur travail.
D’un autre, le nombre de patients en psychiatrie qui ne cesse de croître : en 2016, plus de 2 millions de patients en psychiatrie ont eu besoin de soins médicaux, dont 25% d’enfants et d’adolescents de moins de 18 ans. Principalement accueillis au sein des CMP (environ 3900 sur le territoire français) et des hôpitaux psychiatriques qui ont hospitalisé quelques 417000 malades la même année.
En France, 20% des individus connaîtront au cours de leur vie des troubles psychiques nécessitant des soins médicaux, un chiffre qui dépasse largement les capacités d’accueil des structures de psychiatrie qui se retrouvent, elles, à la baisse : en 30 ans, 70% des lits en hôpitaux psychiatriques ont été supprimés pour éviter l’effet « asile ».
L’impact pour les patients est énorme : les CMP se retrouvent plus éloignés alors que la force de ce système reposait sur le maillage stratégique qu’ils opéraient sur le territoire, ainsi que des listes d’attente à rallonge pour obtenir des rendez-vous (jusqu’à un an d’attente !), au point de perdre totalement leur rôle de dépistage et de prévention, notamment grâce à leur connexion avec les écoles et les associations locales.
Epsilon Melia, en tant qu’organisme de formation professionnelle continue, intervient d’ailleurs régulièrement auprès des CMP et de leurs équipes pluri-disciplinaires (psychologues, psychomotriciens, éducateurs…) à travers l’analyse de la pratique, qui leur permet de prendre du recul sur leurs fonctions et d’améliorer leurs conditions de travail au quotidien, et via des formations plus spécifiques comme la compréhension des troubles du comportement chez les enfants de 5 à 10 ans ou encore l’accompagnement des ados placés qui présentent des conduites à risques et des troubles psychiques.
Quelles sont les conséquences de la crise du secteur psychiatrique ?
Les délais de prise en charge sont plus longs, les soignants sont à bout et les patients se sentent abandonnés !
Les CMP, censés faire office de filtre et d’éviter une hospitalisation systématique, gèrent désormais les urgences en essayant de traiter les listes d’attente de la façon suivante : les urgences, quand elles sont prises à temps, sont renvoyées vers les hôpitaux psychiatriques, et les cas les moins urgents, quand ils ne le deviennent pas par manque de prise en charge, sont orientés vers le secteur privé qui n’est pas remboursé et qui aggrave encore le sentiment de stigmatisation des populations les plus modestes, souffrant de troubles psy. Beaucoup d’ailleurs abandonnent car ils ne peuvent se permettre de se faire soigner par des psychologues privés ou que le CMP le plus proche reste trop éloigné. Les CMP deviennent alors des solutions de replis pour les personnes les plus défavorisées.
Pour les hôpitaux psychiatriques, si la situation reste tout aussi grave, elle est davantage médiatisée, notamment avec les dernières grèves et mobilisations qui ont permis pour certains établissements de bénéficier d’ouvertures de postes d’infirmières et d’aides-soignants pour gérer l’afflux de patients montrant des problèmes de santé mentale. La suppression de plus en plus de lits dans les hôpitaux spécialisés en psychiatrie impacte le temps d’hospitalisation des patients qui se retrouvent contraints à rentrer plus rapidement chez eux : le suivi est moindre, l’enchaînement des cas à un rythme soutenu épuise le personnel médical qui, d’après le Syndicat des psychiatres en hôpitaux, souffre d’un déficit d’environ 1000 postes de psychiatres !
Le cri d’alarme est lancé, reste à savoir si la réforme de la santé 2018 initiées par le président Macron et la Ministre Agnès Buzyn, « Ma Santé 2022 », portera ses fruits et quand ? Il y a urgence !
Quelle est votre réaction ?
Co-fondatrice et directrice pédagogique chez Epsilon Melia, ancienne directrice de structure et formatrice.
Il faut ajouter à cela le « virage ambulatoire » opéré sur plusieurs territoires. Ce virage, trop brutal, envoie de nombreux patients dans le décor. Le virage ambulatoire est défendu par les autorités publiques avec l’argument de la désinstitutionnalisation et de la recherche d’autonomie pour les patients. Certes, la désinstitutionnalisation est un but à poursuivre, mais elle ne peut se décréter de manière brutale. On ne peut désinstitutionnaliser de force des patients habitués à être admis en HP sans précariser tous le secteur et provoquer des situations désastreuses pour les patients et leurs familles, et dangereuses pour la société civile. Un des arguments de ce virage ambulatoire est aussi parfois que les HP ne sont plus là pour « stabiliser » les patients, et que cette tâche revient au secteur médico-social, qui n’est pas du tout armé pour cela.
L’autonomie et l’inclusion ne peuvent justifier une politique qui poursuit comme but principal des coupes franches budgétaires. Il faut sortir du schéma selon lequel l’inclusion et la désinstitutionnalisation permettront de faire des économies. L’inclusion a un coup et demande du temps et la mise en mouvement d’une intelligence sociale collective.
Chacun aura compris que l’inclusion a un coût et non un coup…