Episode 4 – Mohand Hamidouche, Directeur
Pour clore ce premier mois de confinement, c’est Mohand Hamid ouche, directeur de la structure, qui nous partage de l’intérieur le vécu de la Maison du Sacré Cœur, foyer qui accueille des jeunes de 6 à 21 ans confiés par l’Aide Sociale à l’Enfance.
« Je travaille à la Maison depuis 2008. On a depuis vécu beaucoup événements mobilisateurs, et l’arrivée de cette pandémie avec les contraintes qu’elle nous impose nous laisse à penser que finalement, on ne la traverse pas si mal que ça ! En tout cas du point de vue de l’accompagnement des enfants, et de la manière dont les équipes présentes le vivent parce qu’il y a du lien.
Cette période a commencé par l’arrêt de l’école. Et puis très vite les équipes ont commencé à comprendre que ça n’allait pas être facile pour un certain nombre de nos collègues qui ont des problèmes de santé – ici une insuffisance respiratoire, là un problème cardio vasculaire… Très vite on se dit que pour untel ça va être compliqué de venir, mais tant qu’il ne se décide pas on n’ostracise pas les gens. Ce qui n’a d’ailleurs pas été bien vécu par ceux qui voulaient imposer aux personnes concernées de ne pas venir.
Evidemment, il a fallu dépasser les habitudes de fonctionnement : le serrage de main, par exemple. Moi je suis très « serrage de main » ! Un bonjour de loin ce n’est pas dans ma culture : il a fallu se l’imposer à soi-même, et l’imposer aux autres. Ça ne va pas de soi ! On a parfois des mouvements d’oubli de la règle : ces petits riens du quotidien ont très vite rappelé l’importance d’être exemplaires sur les gestes barrières.
On a pensé à des degrés divers que peut-être ce qu’on nous demandait était exagéré. Finalement, on sait que ce n’était pas assez : le balancier a très vite basculé, aujourd’hui cela fait un mois et on fait très attention.
On s’est mis à interroger « la transmission » qui nous était faite d’instruire les enfants. On n’avait pas imaginé qu’on devrait faire l’instruction, se transformer en enseignants, surtout les éducateurs. On est assez démunis sur ces questions-là, avec la disparité des niveaux. Avec les primaires c’est plus facile, ils ont envie. Mais avec les ados, qu’est-ce que c’est compliqué !
On est en lien avec les services du département qui sont très présents : après avoir été assez démunis au début. On voit bien que la Protection de l’enfance dans les notes, circulaires, aménagements réglementaires, médias n’était pas au premier plan (ce qu’on ne demandait pas, d’ailleurs) mais il a fallu attendre quasiment trois semaines pour avoir des mesures compréhensibles.
Nous a été livrés à notre capacité créative alors qu’il fallait gérer les angoisses – des choses pas toujours « raisonnables » au sens littéral du terme – et puis gérer la réalité des personnes inquiètes pour elles, pour leur famille.
Très vite on a été confrontés à la réalité de la maladie. Heureusement aucun enfant n’a été malade. Malheureusement, du côté de l’équipe on a commencé à compter une première suspicion de cas. Ensuite l’annonce du décès d’un parent d’un salarié, puis l’annonce d’un coma d’un autre parent, puis d’une suspicion chez cet éducateur. On a commencé à prendre la mesure de la maladie et de son impact dans un cercle plus proche.
Il y a eu la Chine, l’Italie, l’Est de la France… et puis un jour votre collègue de travail perd son père. La réalité arrive. Il faut trouver la bonne communication pour expliquer, dire qu’on ne sait pas. Si on informe on inquiète, si on n’informe pas, on inquiète en fonction des personnes ! Il n’y a pas de jugement à avoir sur les angoisses, en revanche on ne peut pas accepter qu’elles emmènent les autres. Il faut prendre de la distance.
On a mis en place des choses très diverses, peut être que dans six mois on dira que les mesures n’étaient pas justes. Entre ceux qui se sont mis en arrêt, et ceux qui ne rentraient pas dans ces critères et qui ont cumulé avec notre accord sans jugement l’ensemble des congés qu’ils devaient prendre pour ne pas être là. Si ça vous envahit ça vous empêche d’être serein. Ça donne des disparités absolues, on a essayé de prendre ça en compte.
Quand on a appris la fermeture des écoles, j’ai envoyé un questionnaire à l’ensemble du personnel pour évaluer ce qu’ils étaient en mesure de faire ou pas : tenir un rythme cumulé sur place, partir avec les enfants dans une maison – on avait imaginé louer une maison hors de Paris avant que ça ne soit interdit. On a eu des réponses très variées et on a senti qu’il y avait de l’engagement – le terme n’est pas galvaudé ! – sur 50 éducs 17 ont répondu positivement, ils étaient prêts à tout chambouler !
On a senti que le travail de réflexion mené sur le sens de la mission avait porté ses fruits.. C’est aussi vrai à la Maison du Sacré Cœur, c’est vrai pour les personnels éducatifs mais aussi pour les services administratifs, généraux… Les cuisiniers étaient là tout le temps, les maîtresses de maison, les veilleurs et surveillants de nuit… en dehors des problèmes de santé il n’y a pas eu de stratégie d’évitement. Dans la très grande majorité des cas, les gens ont une très bonne raison de ne pas être là.
Avec l’ensemble des cadres, à aucun moment on a pensé ne pas y être. Il faut qu’on ait des temps ensemble, qu’on pense des choses. Pour moi c’est très différent de travailler au téléphone, et ne pas être du tout avec les jeunes. Même si on se parle d’un bureau à l’autre : être dans le même espace, être présent, signifier qu’on est là et c’est important.
Malgré tout ce n’est pas simple : par exemple, on fait des réunions dans une salle de 80 m2 à 10 pour respecter les distances de sécurité alors qu’habituellement on y est à 70 !
Une autre question que cette situation souligne, c’est de savoir si on prend toujours les bonnes décisions ?
Insister sur le lavage des mains au savon, alors qu’on est bombardés à la TV par des messages concernant le gel hydroalcoolique (qu’on n’a pas), le port de masques (qu’on n’a pas) …comment explique-t-on qu’on est contraints à l’impuissance ? Ce n’est pas simple mais ça remet un peu les pendules à l’heure. On n’est finalement peut-être pas impuissants : il y a des mesures compensatoires. On ne peut pas tout régler, on doit inventer parfois d’un jour à l’autre, et surtout pas tout seul : la contribution collective a du sens dans un tel moment. Le « qu’est-ce que vous en pensez, vous ? » qui peut parfois être de l’évitement, dans ce contexte a tout de suite permis de la co-élaboration. Ça a été la débrouille permanente, en tout cas la première quinzaine : il y avait beaucoup d’empirisme !
Du côté des jeunes, les grands ados sont autorisés à sortir dans le cadre des mesures légales : courir autour du pâté de maison. Ils ne le respectent pas forcément, ce qui fait l’objet d’un recadrage avec la directrice adjointe ou moi-même. On leur explique la gravité : s’ils ramènent la maladie dans l’établissement ça serait une catastrophe. Ils commencent à le comprendre, d’autant plus que l’un d’entre eux a reçu une amende de 135€. Ça a une dimension pédagogique.
Si ça n’a pas explosé c’est que nous n’avons pas interdit de choses qui étaient autorisées en dehors de la maison. Ça permet une respiration : si on avait interdit totalement aux grands ados et aux jeunes adultes la sortie, on aurait sans doute participé à une difficulté de confinement qui est plus que ce que la loi dit. L’idée est de les mettre en situation de citoyens.
A côté de ça comme on a des petits qui ont entre 8 et 12 ans, eux ne sortent pas du tout et c’est très intégré. On a de la chance dans cette situation : on a de la place ! 2500 M2 d’espace extérieur : des espaces de jeux, des espaces différenciés… ils peuvent se mettre dans la cour, jouer au ping pong… il y a de quoi gérer et ça les gamins l’ont vite compris. Ils ont des contacts avec des copains qui sont dans d’autres foyers et ils mesurent leur que les conditions ne leur confinement ne sont pas les pires.
Il va nous falloir commencer à penser le jour d’après avec sans aucun doute, son cortège de désillusions. Mais pour cela la solidarité qui s’organise et s’installe sera un point d’appui essentiel pour qu’ensemble, quelque soit sa fonction dans l’établissement, nous nous ouvrions vers à jours meilleurs.
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Co-fondatrice et directrice pédagogique chez Epsilon Melia, ancienne directrice de structure et formatrice.