Jeux Olympiques Paris 2024 : l’hébergement d’urgence en danger

Depuis le printemps 2023, plus de 1 700 personnes mal logées ont été déplacées d’Île-de-France vers des centres d’accueil en région. Une nouvelle politique d’hébergement d’urgence qui alerte les travailleurs sociaux parisiens : peu convaincante dans sa mise en œuvre, ne viserait-elle pas à aseptiser l’espace public en vue des Jeux Olympiques d’été 2024 ? À l’écoute des professionnels de terrain, Epsilon Melia souhaite leur offrir un espace d’élaboration pour repenser l’accompagnement des publics en grande précarité dans ces conditions particulières.

Ce que l’État propose : 10 sas régionaux pour désengorger Paris

Un article du Monde daté de fin septembre 2023 dresse un état des lieux : selon le ministère chargé du logement, 1 760 personnes sont arrivées d’Île-de-France dans les 10 « sas d’accueil temporaire » ouverts en région depuis mars-avril. Au printemps déjà, le journal avait eu connaissance d’une circulaire ministérielle annonçant l’ouverture de ces sas. Leur fonction : désengorger les centres d’hébergement franciliens, dont la saturation conduit souvent les personnes migrantes à établir des campements informels dans la rue.

« La Direction régionale de l’habitation et du logement (Drihl) est venue nous annoncer ces mesures », nous raconte Samia Mimouni, cheffe de service à l’Espace Solidarité Insertion (ESI) Familles du Centre d’Action Sociale Protestant (CASP). « Les agents nous ont expliqué que les personnes seraient hébergées pendant 3 semaines maximum, puis qu’elles devraient adhérer à l’accompagnement social sur place pour déposer une demande d’asile ou de titre de séjour. »

Pour chaque nouveau départ, sa direction lui communique la date et la destination. Samia est ensuite chargée d’informer les familles et d’inscrire celles qui seraient intéressées – « les départs se font sur la base d’un volontariat, disons, dirigé ». Ils sont présentés par les instances gouvernementales comme de « nouvelles opportunités » pour les publics.

Un dispositif qui met en danger les personnes accueillies et les professionnels

D’emblée, Samia est alertée par ce discours : « dans ma structure, aucune des familles n’est en situation de prétendre à l’une ou l’autre des demandes. Les diriger vers ces centres revient donc à les renvoyer au pays. »

Bien d’autres dimensions alertent les professionnels parisiens. Par exemple, les moyens dont disposent leurs confrères et consœurs pour accueillir ces nouveaux arrivants. Samia rappelle que les publics franciliens ont des problématiques spécifiques auxquelles les travailleurs sociaux en région sont peu confrontés : addictions, interculturalité… Ces transferts fragilisent donc les bénéficiaires autant que les acteurs de terrain. Yaël Bouyssou, responsable du pôle pédagogique d’Epsilon Melia, partage cette inquiétude et déplore une stratégie d’accompagnement peu viable. Elle craint que les personnes ainsi déplacées se retrouvent livrées à elles-mêmes : « on s’occupe de leur transport à l’aller, mais pas au retour », précise-t-elle. De même, si ces personnes parvenaient à regagner l’Île-de-France, auraient-elles la garantie de retrouver leur place en centre d’accueil ?

Sans oublier que l’accompagnement des personnes en situation de précarité est avant tout affaire de lien. Présenté comme temporaire, ce déplacement ne constitue pas moins une rupture dans la relation d’aide qui met en danger l’intégrité du grand précaire et la pérennité du travail des soignants. « La responsable d’un centre d’hébergement parisien me parlait de personnes installées depuis 10 ans sous les arches du viaduc des arts, dans le 12e arrondissement », dit Yaël. « Il s’agirait donc de détruire 10 ans de travail pour 3 semaines ? »

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Ces nouvelles mesures mettent à mal le travail social

Des résistances chez les professionnels

L’ouverture de ces sas est donc très mal reçue par le monde du travail social. Marie Landreau, directrice d’Epsilon Melia, dénonce la violence de cette injonction paradoxale : « Les professionnels savent que le dispositif risque d’être un échec, avant même sa mise en place. Comment peuvent-ils porter une parole en laquelle ils ne croient pas ? »

Une difficulté corroborée par le témoignage de Samia : « Nous informons les familles, sans plus. Ni moi, ni mes collègues n’encourageons ces départs. Une expression revient dans l’équipe : nous ne voulons pas être complices ».

Pour autant, refuser d’investir ces centres régionaux n’est pas une décision facile. Les personnes qui resteraient à Paris risqueraient d’être déplacées par les forces de l’ordre. « Dès à présent, les Parisiens sont témoins de scènes de délogement de sans-abris dans la rue ou dans le métro », nous signale Yaël. On peut imaginer que de telles scènes se multiplieront à l’approche de l’été 2024.

Un coup dur pour un secteur déjà sous tension

Car le calendrier interroge, bien sûr. Ces mesures bancales coïncident avec la tenue des Jeux Olympiques à Paris, s’apparentant davantage à une volonté de dispersion des populations précaires qu’à une véritable politique d’accueil.

Elles interviennent dans un contexte déjà très difficile pour le secteur de l’accompagnement social : fermeture de structures, multiplication des baux éphémères, personnel sous-qualifié, en sous-effectif… « J’exerce depuis 8 ans et nos conditions de travail se dégradent », nous confie Samia. « Le temps de rue s’allonge, les contraintes institutionnelles entraînent un sentiment de perte de sens. »

Depuis de nombreuses années, l’équipe d’Epsilon Melia constate cette mise à mal du secteur médico-social. Lorsque les politiques publiques vont à l’encontre des principes de la relation d’aide, les professionnels se démotivent au point parfois d’envisager d’autres carrières.

Des solutions existent pour faire face à cette crise !

Travailleurs sociaux, vos témoignages nous poussent à nous mettre en mouvement ! Si l’année qui s’annonce suscite de nombreuses questions, nous souhaitons vous ménager des espaces pour y réfléchir ensemble.« Il s’agit de prendre le temps de nommer les choses pour les mettre au jour et se sentir moins seul », précise Marie Landreau. Les travailleurs sociaux font souvent face à un sentiment d’impuissance dans les accompagnements. Il est précieux de pouvoir partager ces expériences délicates avec des pairs, d’évoquer son travail dans un contexte de plus en plus complexe et contraignant. L’enjeu de ces temps de travail est de soutenir les équipes, les cadres afin d’amener de la plasticité dans les échanges et de retrouver un certain pouvoir d’agir.

✉️ Je contacte Epsilon Melia pour une intervention dans ma structure.

La rédaction remercie Samia Mimouni, Yaël Bouyssou et Marie Landreau pour leurs témoignages.

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