Si le développement d’internet est rapide, il en va de même pour les usages que l’on en fait. Les plus jeunes d’entre nous utilisent quotidiennement des applications et des médias sociaux que les adultes fréquentent peu, voire ne connaissent pas du tout. Pour autant, les enfants et les adolescents sont rarement conscients des risques auxquels ils s’exposent : prédation sexuelle, monétisation de leur intimité, harcèlement… Les impacts des réseaux sociaux sur la protection de l’enfance sont multiples. L’éducatrice spécialisée Mylène Sirou nous partage ses conseils à destination des parents et des professionnels pour mieux protéger enfants et ados.
L’interviewée. Après une formation d’éducatrice spécialisée, Mylène Sirou travaille pendant 6 ans en MECS avant de rejoindre un service de pédopsychiatrie à l’hôpital. Depuis 2018, elle est éducatrice spécialisée indépendante auprès de jeunes présentant des troubles neurodéveloppementaux. En parallèle, Mylène est formatrice et animatrice de groupes d’analyses de la pratique. Elle prépare un mémoire de sociologie sur les adolescents et les écrans.
1. Identifier les risques liés à l’usage des écrans
De la consommation au contenu consommé
Pour Mylène Sirou, il faut séparer la question de la consommation des écrans de celle du contenu consommé. En effet, les écrans font désormais partie du quotidien des adultes comme de celui des enfants, et ce dans tous les domaines de la vie : loisirs, école1, travail… De par l’évolution des pratiques, il est plus compliqué de déterminer les bornes d’une consommation excessive.
En revanche, le danger peut naître du type de contenu auquel le jeune est exposé. Un adolescent qui passe plusieurs heures par jour à lire des mangas sur écran et à regarder des vidéos pour apprendre à en dessiner ne présente pas de conduite à risques. En revanche, un enfant de 9 ans qui discute avec des inconnus sur Instagram s’expose aux mauvaises rencontres.
Deux risques majeurs
Aujourd’hui, les deux risques majeurs sur les réseaux sociaux concernent
- l’anonymat. On est qui l’on veut derrière un écran. Lorsqu’il s’agit de passer de la rencontre virtuelle à la réalité – pour un rendez-vous Tinder par exemple –, les adolescents savent plutôt bien s’organiser : les amis sont prévenus, souvent à proximité du lieu de rendez-vous, etc. Les plus vulnérables à cet égard restent donc les enfants, qui ne sauront pas discerner l’ami virtuel du prédateur sexuel.
- la « rumeur ». Si les ragots ont toujours circulé dans les établissements scolaires, les réseaux sociaux les diffusent aujourd’hui à l’échelle nationale. “La rumeur n’a pas de filtres et pas de frontières”, résume Mylène.
2. Comprendre les codes culturels des adolescents
Comprendre les ados, une question de sécurité
Avant de sensibiliser les adolescents aux risques des réseaux sociaux, il est fondamental de connaître leurs codes. « Un jeune ne vous prendra pas au sérieux si vous ne vous tenez pas à jour, donc il ne viendra pas vous trouver en cas de problème », explique Mylène. L’échange entre les générations participe donc de la protection de l’enfance. L’éducatrice conseille aux parents et aux professionnels de regarder le contenu consommé par les jeunes avec eux : « Ce contenu nous fait réagir en direct et notre réaction fait réagir notre ado. Voilà comment créer un vrai débat ! »
Mylène précise que cette curiosité est déjà celle des éducateurs en matière de musique. « Dans les foyers, les éducs allument les radios à la mode pour savoir ce que les jeunes écoutent » ; ils peuvent ensuite leur faire découvrir ce qu’ils écoutaient à leur âge, etc. Ce partage est tout à fait transposable à l’univers du web.
À chaque réseau social son utilité
L’adulte doit comprendre que son utilisation des écrans diffère de celle de l’adolescent, qui est né à une époque où ils existaient déjà. En conséquence, l’ado n’investit pas les canaux de communication de la même façon. Pour lui, chaque réseau social a sa spécificité : WhatsApp pour discuter, le sms pour communiquer une information importante, le coup de téléphone pour une urgence, etc.
Ainsi, les risques varient d’un média à l’autre ! Snapchat occupe une place privilégiée dans le trafic de stupéfiants. TikTok, réseau chinois peu surveillé, protège mal ses utilisateurs des prédateurs sexuels. Des réseaux souterrains fleurissent sur la messagerie instantanée Telegram, dont les jeunes maîtrisent les techniques de cryptage.
De la pornographie à la cybersexualité
Mylène insiste sur l’importance de connaître les nouveaux codes de la sexualité chez les adolescents. « Les jeunes sont exposés au porno dès le CM1/CM2 – même si à ce moment-là, ils ne comprennent pas ce qu’ils voient. La consommation se met en place au collège ». Le nude, envoi de photo de soi nu ou partiellement dénudé, est une méthode de séduction pratiquée dès la 6ème.
Or, les ados n’ont pas toujours conscience des conséquences de leurs pratiques. C’est à ce niveau que l’adulte a un rôle à jouer. En effet, l’exposition au porno contribue à banaliser l’image d’une femme soumise dans la sexualité, et produit des complexes physiques chez les filles (dont la plastique n’est pas celle des actrices) et les garçons (dont les performances ne sont pas celles des acteurs). « Il faut un regard adulte pour décaler cela, et faire comprendre aux ados que la pornographie n’est pas la réalité », dit Mylène. Lorsqu’elle intervient auprès de grands adolescents, et avec l’accord des parents, Mylène leur propose par exemple de visionner les making off2 de ces films pour qu’ils prennent la mesure de leur dimension fictionnelle.
Vient ensuite la question du nude. La barrière de l’intimité est floue chez les ados, ils peinent à réaliser qu’une photo prise avec son téléphone, objet personnel que l’on a tout le temps sur soi, chez soi, etc., puisse circuler si facilement une fois partagée sur un réseau social. Pour se figurer la vitesse à laquelle voyage un contenu, Mylène propose une expérience : un enseignant ou un éducateur peut partager un post Facebook en demandant aux internautes qui le voient d’indiquer où ils résident. Au bout de 2 ou 3 semaines, les jeunes sont souvent surpris que le post ait été vu aussi loin de chez eux.
3. Proposer une connexion wifi sécurisé
Mylène a travaillé en institution et sait que les foyers refusent souvent de s’équiper de la wifi : « Les équipes ont peur des dérives, que les jeunes soient tout le temps sur leurs téléphones, pas assez avec les éducateurs ». Pour autant, elle pense qu’il est important de fournir un réseau sécurisé protégé par des contrôles parentaux, plutôt que de laisser les jeunes se connecter à des réseaux voisins sur lequel l’établissement n’a pas de visibilité. « Tout se passera bien si l’on pose un cadre, par exemple : pas de téléphone à table », propose-t-elle.
En institution comme à la maison, le respect de la cohérence éducative contribue au maintien du cadre. « S’ils fixent des règles, il est important que les parents et les éducateurs surveillent leur propre consommation des écrans, qu’ils n’utilisent par leurs téléphones pendant les repas, etc. ».
4. Informer les jeunes sur les dangers de leurs pratiques grâces aux outils de prévention
Durant ses interventions, Mylène incite les jeunes à toujours interpeller un adulte en cas de problème. Parent, éducateur, enseignant, bibliothécaire… peu importe ! « L’essentiel est de solliciter un adulte, lui seul aura le recul nécessaire pour gérer les répercussions ». Pour éviter d’en arriver à ces situations délicates, il existe de nombreux outils de sensibilisation aux risques du web.
Les témoignages d’anciennes victimes
Mylène convoque le témoignage d’Aliya, ancienne victime de cyberharcèlement. À 14 ans, Aliya échange des nudes avec un petit ami virtuel ; ses photos sont envoyées à l’ensemble des élèves de son collège quelques semaines plus tard. Aujourd’hui, elle raconte son histoire devant les classes, sans détour ni langue de bois. Son discours adapté aux ados est efficace pour les sensibiliser aux dérives du web.
Le contenu éducatif : des vidéos et un livre
Pour les enfants et pour les adultes, de nombreux médias diffusent du contenu adapté.
Pour les 7-12 ans, le site Vinz et Lou propose une trentaine de vidéos et activités autour de thèmes variés : l’identité en ligne, les spams, les dérives commerciales… Un programme ludique de qualité, sous la forme de dessins animés et de BD interactives, soutenu par le ministère de l’Éducation nationale.
Pour les ados et les adultes, les plateformes des chaînes de télévision mettent à disposition des documentaires édifiants. Sur la sexualité des adolescents et la cybersexualité, Mylène conseille le film Préliminaires de Julie Talon, réalisé en 2019 pour Arte. Le documentaire Derrière nos écrans de fumée, disponible depuis septembre 2020 sur Netflix, tire la sonnette d’alarme quant aux méthodes peu scrupuleuses des réseaux sociaux. Le film est à charge mais permet néanmoins d’en comprendre la mécanique.
Enfin, Mylène signale le livre d’Ovidie, ancienne actrice porno qui s’engage désormais dans la prévention. Avec À un clic du pire, Ovidie explore les aspects négatifs du monde de la pornographie : ce qui a changé ces vingt dernières années dans l’industrie comme dans la société, l’accès facilité au porno par les mineurs, la nécessité de les protéger, etc.
L’association e-Enfance
Subventionnée par l’État, l’association de lutte contre le cyberharcèlement propose un dispositif très complet. Intervention en milieu scolaire, formations, accompagnement des parents d’enfants harcelés et des jeunes concernés… e-Enfance est la ressource nationale majeure en matière de cyberviolences et d’aide à la parentalité numérique. Pour les contacter, un site web et un numéro de téléphone : le 3019.
5. Faire preuve d’humour !
Certes, les enjeux de la protection des mineurs sur le web sont sérieux. Mais la prévention est aussi affaire de partage, de relation, de vivre ensemble ! En ce sens, pour Mylène, l’humour peut être une arme très convaincante. Pour sensibiliser les jeunes à la mémoire du web et ici en particulier, au contenu partagé par les parents sans l’accord des enfants, elle n’hésite pas à les interpeller : « Tu voudrais, toi, qu’on te voit sur le pot dans dix ans ? » Il ne s’agit pas de juger les pratiques des uns et des autres, mais de s’assurer qu’elles résultent de vrais choix éclairés.
Il existe des outils efficaces pour limiter les impacts négatifs des réseaux sociaux sur la protection de l’enfance et ainsi mieux vivre ensemble !
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[1] Par exemple, le département du Val-de-Marne fournit un ordinateur “Ordival” à chaque collégien dès la 6ème.
[2] Des making off de leurs films sont mis à disposition, par exemple, par les maisons de productions de Marc Dorcel et de Rocco Siffredi.