C’est avec une immense fierté que nous mettons en avant, sur notre site internet et notre catalogue, une des œuvres (voir ci-dessous) de l’artiste Francine Truong des ateliers artistiques de l’ESAT Ménilmontant.
Avant de vous expliquer notre démarche et notre vision de notre métier et du lien très fort que nous tissons entre le milieu social et artistique, laissez-nous vous raconter…
La rencontre avec l’artiste et son œuvre
Nous avons découvert Francine Truong et son œuvre lors d’une rencontre aux ateliers artistiques de l’ESAT Ménilmontant.
Cet Établissement et Service d’Aide par le Travail, géré par l’Association Championnet* accueille 153 travailleurs en situation de handicap mental et psychique afin de développer leurs capacités d’intégration par la pratique d’une activité professionnelle : art, menuiserie, couture, rénovation, conditionnent ou encore biscuiterie composent les différents ateliers métiers de l’ESAT. Une autre partie de l’activité tournée vers l’extérieur permet à ces travailleurs de s’ouvrir progressivement au milieu dit « ordinaire ».
L’ESAT Ménilmontant dispose d’un important pôle artistique réputé dans le monde de l’Art Brut qui accueille chaque jour 22 artistes travailleurs, organise ses propres expositions, ventes et événements culturels prisés par les collectionneurs, amateurs avertis et galeristes.
À notre arrivée dans ces ateliers, nous avons été saisis par l’incroyable production de dessins, de peinture et de céramiques. Si nous avons été impressionnés par l’abondante production, plus encore nous avons été bouleversés par l’intensité des œuvres présentées, poétiquement saisissantes.
Malgré la multitude d’œuvres présentes, nous avons eu un vrai coup de cœur pour l’œuvre de Francine Truong et avons immédiatement voulu qu’elle illustre l’activité d’Epsilon Mélia : il s’en dégage une telle humanité ! Chacun des personnages qui constituent le motif de ce dessin prend soin de soi, ou de l’autre. Tout est douceur, calme et sérénité.
Lorsque nous avons découvert ce tableau accroché sur un mur, parmi d’autres, l’artiste était en dessous, attablée, un pinceau à la main, au travail, concentrée. Elle aurait pu être un des personnages des nombreuses scènes qu’elle dessine, tant il émane d’elle une infinie douceur. Ses dessins, toujours, représentent des endroits où règne l’harmonie entre les personnes et entre les personnes et les bêtes. Serait-ce son Paradis perdu ? Ou plus qu’une inclination, l’expression du désir d’un monde enfin apaisé ?
Et si nous l’avons choisi parmi tant d’autres tableaux tout aussi beaux, c’est que nous avons eu envie de participer à ce doux moment qu’il raconte, de nous asseoir en tailleur discrètement à même le sol, et tenter de saisir quel est le livre que lit cette femme à destination des jeunes filles au premier plan – est-ce un conte vietnamien, cambodgien ? Ou peut-être leur fait-elle tout simplement l’école ? L’idée d’une bibliothèque en extérieur, sous les arbres, nous a définitivement convaincu que cette œuvre nous était destinée.
Le soin et les livres. Le prendre soin de soi et des autres. N’est-ce pas ce à quoi nous voulons participer ?
Le beau pour penser
Si nous avons, au sein d’Epsilon Mélia, décidé de mettre l’Art Brut à l’honneur, c’est que nous sommes sensibles à cette esthétique et qu’elle fait particulièrement sens pour nous. Ces œuvres nous touchent, nous bouleversent, nous inquiètent, nous dérangent, nous secouent et régulièrement nous font rires, nous mettent de bonne humeur ! De plus, ça nous permet de rencontrer et de côtoyer ces artistes d’Art Brut, pour lesquels nous éprouvons une indéfinissable tendresse.
Nous avons toujours eu souci de proposer des supports (notre catalogue, notre site internet) esthétiques et vecteurs de sens ; nous espérons faire mieux encore grâce à la force, la puissance et l’expressivité de ces œuvres. L’exigence de la forme doit témoigner de l’exigence du fond.
La volonté de mettre en avant des œuvres d’Art Brut, s’inscrit dans une démarche beaucoup plus large pour Epsilon Mélia. L’esthétique, la créativité font parties des valeurs d’Epsilon Mélia. Nous avons toujours eu la volonté d’intégrer les « Arts » et les « Pratiques Artistiques » dans le déroulé de formations, ainsi que dans nos groupes d’analyse des pratiques. Outre les sciences humaines et sociales, les approches « psys », la sociologie, la philosophie, etc, auxquelles nous référons pour étayer nos temps théoriques, régulièrement nous sollicitons la littérature, les romans, le théâtre, le cinéma, les arts plastiques… Cela se fait selon l’appétence, l’envie et le goût des formateurs ; on le sait, la compréhension qui relève de la seule intelligence réflexive, toute satisfaisante qu’elle peut être, n’est pas suffisante. Il n’y a véritablement empreinte en nous, et intégration, que lorsque nous sommes atteints en notre sensibilité, les langages artistiques en sont la voie royale.
Ce qui est vrai pour la pédagogie, l’est également pour ce que l’on appelle « les pratiques sociales ».
L’art comme engagement
Nous avons tous, au sein de l’équipe d’Epsilon Mélia, occupé des postes de psychologues, de travailleurs sociaux et/ou de dirigeants d’établissements du secteur social et médico-social. Les pratiques artistiques faisaient partie de nos projets d’établissements et, avant même d’occuper des fonctions d’encadrement, que ce soit en Centre Social, ou en établissements pour enfants et adolescents, les arts ont toujours été au centre de nos pratiques professionnelles. On ne peut penser l’art, ou plus généralement l’acte créatif, comme un adjuvant, ça devrait être, selon nous, au centre de nos vies, tant personnelles que professionnelles.
Lorsque l’on a la chance, comme c’est notre cas, de côtoyer les professionnels des champs du social et du médico-social, on y rencontre régulièrement des gens on ne peut plus créatifs. Si nous restons dans le domaine des arts et des pratiques artistiques les exemples sont légions ! Parmi eux nous pensons au travail mené par la chargée de projets du foyer d’accueil « FIT une femme un toit » : Chloé Ponce-Voiron. Également metteuse en scène, Chloé a dirigé un travail collectif avec les femmes accueillies au sein de son établissement qui a abouti à un remarquable représentation théâtrale. Ou encore, à la place donnée à la musique dans la maison de retraite Saint-Dominique d’Arcachon par l’animatrice Muriel Ickowicz. Ou encore, à l’organisation d’un théâtre-forum avec les personnes en situation de handicap accueillies au sein de l’association Éclat à Prévessin-Moëns…
Nous nous sommes faits le relais de ces initiatives par des articles publiés sur notre blog ou des vidéos diffusés sur nos réseaux sociaux. C’est que nous sommes admiratifs, et c’est à notre manière une façon de dire que Oui, c’est possible ! Nous souhaitons dans les prochains mois, avec les moyens qui sont les nôtres, faire connaître ces initiatives, ces réalisations.
La créativité pour sens
Lorsque nous évoquons la créativité, elle implique les pratiques artistiques mais également celles mises en œuvre par les professionnels dans leurs pratiques professionnelles. Là aussi les exemples sont infinis ! Par exemple, nous pouvons témoigner de l’ingéniosité, de la perspicacité et de l’originalité de la prise en charge par certaines Assistantes Familiales d’enfants extrêmement carencés. Si les résultats obtenus sont spectaculaires, ils ne sont pas toujours reconnus, répertoriés, diffusés et pourtant… La définition même du mot créativité, n’est-ce pas de trouver des solutions originales à un problème ?
Notre souhait, là encore, est de poursuivre ce que nous avons initié à l’occasion du confinement, aux moyens d’interviews, de témoignages, d’articles, de donner la parole aux professionnels de terrain – travailleurs sociaux, paramédicaux et encadrants, de témoigner de leur engagement et de leurs initiatives qui donnent un tour nouveau à certaines existences.
Nous terminerons en citant Laurent Danchin, critique d’Art et essayiste, spécialiste d’Art Brut. Il fait partie de ces penseurs qui n’appartiennent pas à notre secteur, nous « les professionnels du social », et pourtant il peut être une grande source d’inspiration, sa pensée peut nous permettre d’aiguiser nos relations aux personnes accompagnées au sein des institutions. Est-ce parce qu’il côtoyait de très nombreux artistes de l’Art Brut, présentés comme marginaux, et dont de nombreux sont devenus ses amis ? Sûrement. Il pensait que chacun de nous se devait de découvrir le don dont il était porteur, que le travail de l’éducateur, à entendre ici dans son acceptation la plus large, et/ou du thérapeute était de favoriser cette découverte. Il reprochait à l’époque d’avoir éliminé cette notion, le don, au nom de la sociologie, de la psychologie et des idéologies qui ont vu le jour au XXème siècle. « On préfère, disait-il, tout expliquer par le social, le contexte et l’éducation. Nous sommes tous différents et singuliers, on l’apprend avec l’Art Brut. On apprend à quel point les individus sont singuliers et porteur de possibilités, et cela malgré le contexte social, les catastrophes« . Il reprochait à une certaine approche « psy » de trop s’intéresser aux accidents de parcours, d’y revenir sans cesse, « de trop gratter les blessures et de tourner autour et d’oublier de favoriser l’épanouissement des dons« .
Nous souhait est de mettre en pleine lumière ces professionnels qui œuvrent au quotidien, qui permettent aux personnes accompagnées d’exprimer leur singularité, leur créativité – cette créativité qui donne sens à nos vies.
Eric WAROQUET
pour l’équipe d’Epsilon Mélia
*L’Association Championnet, qui a la gestion de l’ESAT Ménilmontant, œuvre depuis près de 100 ans au service de la jeunesse en s’engageant auprès de ceux qu’elle accueille pour qu’ils deviennent des hommes et des femmes libres, en pleine possession de leurs capacités, quels que soient les désavantages qu’ils subissent. L’Association Championnet est présente à Paris, dans l’Oise, le Finistère et la Haute-Savoie. Elle accompagne, forme ou emploie près de 1000 jeunes et adultes, dans des centres de formation, des instituts thérapeutiques ou médico-éducatifs, des services d’aide au maintien dans la scolarité et dans des établissements de travail protégé.
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Co-fondateur et directeur d'Epsilon Mélia, psychanalyste, thérapeute, animateur de groupes d'analyse de la pratique et superviseur de cadres d'établissement dans le champ social et médico-social.