Placement à domicile : le dispositif Adophé éprouvé dans le 93

La loi du 5 mars 2007 réformant la Protection de l’enfance incite les départements à diversifier les modalités de prise en charge des enfants en difficulté. Dans ce contexte se développent de nombreux dispositifs de placement à domicile, modalité intermédiaire entre le placement en structure et l’Action Éducative en Milieu Ouvert (AEMO)1. L’objectif est de ne pas séparer l’enfant de son parent, tout en assurant un suivi intensif de la famille à son domicile. Alexandre Astier, directeur adjoint d’un dispositif d’Accompagnement à Domicile avec Possibilité d’Hébergement (Adophé) à AVVEJ – Rencontre 93 (Seine-Saint-Denis), a accepté de nous présenter son service.

Genèse du projet

En 2015, le conseil départemental de la Seine-Saint-Denis lance un appel à projets auquel répondent trois associations. « Cette initiative venait soutenir deux politiques sociales », explique A. Astier, « prévenir le placement en institution et réduire les coûts2 des prises en charge ». Ainsi naît le dispositif Adophé, consolidé en 2018 par l’arrivée de six nouveaux opérateurs. Les associations se partagent le territoire pour faciliter les visites : « Nous couvrons exclusivement les communes de Saint-Denis et de Saint-Ouen, ce qui nous permet de nous rendre facilement chez les familles, en transport, à pied, vélo ou en trottinette électrique ! ». Pour Rencontre 93, le service se développe vite. Alors qu’il dispose de deux éducateurs pour douze mesures en septembre 2018, il compte cinq éducateurs pour trente mesures à l’été 2019.

Pour qui ? 

Le placement à domicile est une mesure judiciaire (ordonnée par le Juge des enfants) ou administrative (sur demande des parents). Une mesure Adophé prévoit une action sur six mois et peut être renouvelée jusqu’à deux fois.

L’enjeu d’un tel placement est l’évaluation des risques dès le départ et tout au long du suivi. Les enfants pris en charge par un Adophé ne doivent pas être victimes de maltraitances avérées ou de violences sexuelles au domicile. Le service de Rencontre 93 accueille des enfants de 0 à 18 ans dans deux types de situations. D’une part, l’équipe intervient auprès des enfants à leur retour de placement, pour étayer la famille après l’expérience difficile de la séparation. D’autre part, elle accompagne des « cas limites » pour lesquels l’AEMO ne semble pas suffisante, mais qui ne justifient pas tout à fait un placement en institution. « Un risque de dérive possible est que les magistrats préconisent un Adophé pour éviter les listes d’attente des AEMO », nous confie A. Astier. Il ajoute que 182 mesures Adophé (sur les 378 autorisées par le département) sont actuellement en attente en Seine-Saint-Denis, ce que ne prévoyait pas le cahier des charges du projet de 2015.

Comme le laisse entendre son acronyme, l’Adophé bénéficie de « lits de repli » en cas d’épisode familial difficile. L’association AVVEJ – Rencontre 93 dispose de plusieurs possibilités : « les enfants de 0 à 6 ans peuvent être confiés à l’assistante familiale de l’Espace Petite Enfance, les 7-11 ans aux assistants familiaux de la MÈTIS et les 12-18 ans hébergés en MECS3 ». Cet accueil a vocation à être de courte durée (quelques jours).

Comment ça fonctionne ?

L’Adophé permet un accompagnement souple et individualisé. Un éducateur est en charge de six mesures et doit consacrer cinq heures par semaine à chaque enfant. « Ainsi, une fratrie de trois enfants nécessitera quinze heures de suivi individuel », précise A. Astier. Le nombre de visites par semaine est adaptable ; le directeur adjoint préconise deux rencontres minimum, dont l’une peut être effectuée au domicile et l’autre sur le service. Véritable lieu de ressources, les locaux de l’Adophé sont ouverts du lundi au samedi et une permanence éducative est mise en place 7J/7, ce qui n’est pas le cas pour une AEMO.

Le dispositif se caractérise également par son équipe pluridisciplinaire. Le service de Rencontre 93 se compose de quatre éducateurs spécialisés, d’une éducatrice de jeunes enfants (EJE) et de deux psychologues à mi-temps. Il prévoit l’intervention d’une technicienne d’intervention sociale et familiale (TISF) ou d’une assistante sociale (AS) rattachée à l’établissement. 

Ces professionnels accueillent les enfants et leurs familles dans les locaux du service pour des temps d’échanges privilégiés. En marge des entretiens éducatifs, menés par un éducateur et un psychologue, l’objectif est d’offrir un espace de parole pour que chacun puisse s’exprimer sur son expérience du placement. Des ateliers collectifs sont organisés par tranches d’âge, comme des débats pour les adolescents par exemple. Les parents aussi peuvent se retrouver autour d’un professionnel pour discuter d’un sujet de leur choix, dans une démarche de soutien à la parentalité.

Adophé en chiffres
378 mesures sur le département de Seine-Saint-Denis
Mesures de 6 mois renouvelables 2 fois
70€ par enfant et par jour 1/4 des mesures débouchent sur une mainlevée

Un bilan encourageant

Aujourd’hui, les associations de Seine-Saint-Denis arrivent au bout d’une phase d’évaluation du dispositif. Les résultats sont encourageants : si quatre mesures sur cinq vont au bout des dix-huit mois prévus, un quart des mesures débouchent sur une mainlevée. « Pour le reste, un quart des Adophé aboutissent à une mesure légère type AED4, et la dernière moitié nécessite la mise en place d’une AEMO en sortie ». Quant au nombre de ruptures d’Adophé pour un placement en institution, elles restent largement minoritaires : moins de 10% des cas. 

De leurs débuts, les dispositifs Adophé du département ont su conserver la force du travail en réseau. A. Astier y a d’ailleurs contribué : « Nous avons été à l’initiative de rencontres interAdophé, car nous avions besoin d’informations de la part de nos confrères ». Les équipes se retrouvent pour penser leur pratique et envisagent de créer très prochainement un référentiel pour encadrer leur action — « il s’agit d’élaborer ensemble, dans le respect des singularités ».

Nul doute que le remarquable travail de ces professionnels fera des émules !

Nous remercions chaleureusement Alexandre Astier et l’équipe de Rencontre 93.


[1] L’AEMO est une mesure judiciaire ordonnée par le Juge des Enfants. Elle consiste en l’intervention à domicile d’un travailleur social, de manière moins soutenue que dans le cadre d’un placement à domicile.

[2] Selon Pierre Stecker, directeur de l’ASE du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, le coût d’une mesure Adophé est de 70€ par enfant et par jour — contre une fourchette de 170 à 190€ dans une structure collective. Voir cet article de La Gazette des Communes.

[3] Pour découvrir les différents pôles de l’association Rencontre 93, rendez-vous sur ici.

[4] L’Aide Éducative à Domicile (AED) vise à améliorer la situation du mineur en apportant une aide éducative, sociale, financière… à sa famille. Il s’agit d’une mesure administrative qui peut être mise en place sur demande des parents. L’AED se différencie de l’AEMO qui est prononcée par le Juge des Enfants.

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