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Comment manager une équipe de travailleurs sociaux ?

Depuis les années 1980, la logique entrepreneuriale s’introduit dans l’action sociale. L’organisation des institutions est revue sur le modèle des entreprises : structuration des équipes, objectifs de rentabilité… Ainsi, la figure du manager se superpose à celle du chef de service ou du directeur. L’analogie a pourtant ses limites, car les professionnels du médico-social accueillent des publics vulnérables très spécifiques. Comme nous l’expose Blandine Étienne, formatrice et ancienne cadre de structure, ils doivent être accompagnés d’une manière toute particulière. Une solide connaissance du profil de ces travailleurs et de leur formation permet de comprendre comment s’articulent management et travail social.

Savoir accompagner l’accompagnement social

Les responsables d’équipe de travailleurs sociaux ne sont pas des managers classiques, tout comme les soignants d’ailleurs. Ce qui les distingue d’un cadre d’entreprise est le public accueilli par leurs équipes : personnes en situation de handicap, de précarité, de violence… « Ces vulnérabilités engendrent des résonances chez les professionnels », explique Blandine. Les difficultés des autres peuvent nous fragiliser nous aussi, en faisant écho à notre vécu ou simplement à notre condition humaine.

Or, qu’attend-t-on d’un manager dans un établissement sanitaire et social ? « Il est un organe de contrôle qui s’assure que les objectifs du service sont atteints », nous dit Blandine. « Mais il est aussi un soutien et doit proposer une écoute pour ces résonances, et favoriser la prise de recul chez les professionnels exposés à la précarité, au handicap, à la détresse des personnes accompagnées ».

Le chef d’équipe est attentif et disponible pour ses collaborateurs. Il est une personne-ressource auprès de laquelle on peut déposer sa difficulté : Je n’y arrive pas avec cette famille, etc. Blandine ajoute : « le manager fait aussi de la prévention. Il décèle les fragilités derrière les comportements du type oui mais ça va, je gère ! ». L’écoute active et le questionnement stratégique sont des compétences clefs dans son quotidien.

Pour résumer, manager des travailleurs sociaux confronte à une mise en abyme – il s’agit d’accompagner ceux qui accompagnent. Telle est la devise d’Epsilon Melia, « prendre soin de ceux qui prennent soin ».

Connaître les profils des managers professionnels du secteur social

Il est intéressant de noter que les stagiaires de Blandine représentent une certaine diversité de carrières sociales. En fait, il existe des profils de managers très divers. Chacun a ses atouts et ses points faibles.

« Nous voyons des éducateurs spécialisés qui, à peine arrivés dans le métier, veulent se former pour devenir cadres, notamment parce qu’ils trouvent leur rémunération faible ». D’autres professionnels attendent d’avancer dans leur carrière pour vouloir prendre de nouvelles fonctions. Les uns comme les autres se dirigent alors vers le Certificat d’Aptitude aux fonctions d’encadrement et de responsable d’unité d’intervention sociale (CAFERUIS). Ce diplôme est accessible en formation initiale et par la validation des acquis d’expérience (VAE).

Certains professionnels arrivent sur des fonctions d’encadrement sans expérience du terrain. « C’est notamment possible grâce au master MOSS, Management des Organisations sanitaires et sociales ». Blandine précise que les collaborateurs issus du travail social ont davantage de légitimité et que les profils gestionnaires sont parfois critiqués de prime abord. « Moi, j’ai toujours considéré que les compétences en gestion sont importantes pour les cadres », nuance-t-elle. « S’ils présentent un intérêt pour le terrain et une écoute envers les salariés, je n’ai aucun problème avec ces profils, au contraire. »

Management et travail social : des outils pour la formation des travailleurs sociaux

Au quotidien, Blandine rencontre des managers très investis. « J’ai face à moi des gens très qualifiés, qui se forment beaucoup » par le biais d’une reprise d’étude ou de temps de formation continue. « C’est un public qui se remet en question, qui est à la recherche de nouveaux apports… de vrais clients au sens systémique du terme » ajoute-t-elle, enthousiaste. 

Des méthodes pratiques pour gérer l’imprévu

Mais comment accompagne-t-on des cadres en santé-social ? Quels sont leurs besoins, leurs demandes ? Dans un entretien de 2020 avec l’anthropologue Monique Selim, François Morillon, directeur du développement et de l’insertion pour l’association Aurore, déclarait : « Manager c’est gérer l’imprévu, prédire et pour cela, mieux vaut être bien outillé. »

Blandine est sensible à cette dimension et y adapte sa pédagogie. En effet, pour gérer l’imprévu, les savoirs ne suffisent pas ! « Je pars toujours des difficultés concrètes que rencontrent mes stagiaires », nous dit-elle. Leurs problématiques quotidiennes sont transposées sous la forme de mises en situation. C’est à partir de ce qu’il se passe dans ces échanges que Blandine propose un apport théorique pertinent. « Je suis très au service des apprenants » ; d’ailleurs, son contenu de formation est toujours souple et adaptable aux demandes des participants. « J’accorde une grande importance aux fiches qui expriment leurs attentes avant la formation, et à ce qui les anime à l’instant T. »

L’approche systémique pour enrichir ses compétences relationnelles

En pratique justement, Blandine s’attache à transmettre des outils mobilisables rapidement en situation professionnelle. « L’approche systémique, que j’utilise aussi en analyse des pratiques professionnelles, est très intéressante pour le management. » Elle permet de partir d’une situation problème et de l’explorer, d’élaborer avec le groupe

L’approche systémique stratégique considère que les causes des difficultés d’un individu se niche dans ses relations aux autres. Autrement dit, quand il y a problème, c’est que les modalités d’interaction ne conviennent pas aux différents protagonistes. « Avec le questionnement stratégique, on explore ce qui se joue dans la relation, comme dans un laboratoire » explique Blandine. L’objectif est d’amener les managers à expérimenter en direct des stratégies différentes

Car les systémiciens le savent : le problème, ce sont les tentatives de solution. Quand on est bloqué dans une situation, c’est que tout ce qu’on a essayé jusque-là est inefficace. « Parfois je propose des pistes d’action et le stagiaire me répond : je ne vais pas faire ça, il/elle ne va pas comprendre. Et moi je dis : justement, pour faire bouger les choses, il faut emmener l’autre là où il ne m’attend pas ! » Après l’exercice, Blandine métacommunique pour montrer aux managers comment les méthodes de la systémie peuvent être exploitées : ici j’ai utilisé tel outil, voilà comment, pourquoi, etc.

➡️ Découvrez une utilisation possible de la systémie dans le cadre de l’investigation éducative.

Plus que tout autre manager, le chef de service du secteur social mobilise ses compétences relationnelles. Sur le terrain comme en formation, il aiguise ses outils d’accompagnement pour prendre soin de ses équipes et, par elles, des publics accueillis.