Comment gérer ses émotions en travail social ?
Exercer un métier dans le secteur social et médico-social entraîne souvent une charge émotionnelle importante, qui peut finir par peser fortement sur le moral des professionnels et entraîner une sorte d’usure, d’épuisement professionnel, voire de burn-out. En effet, les travailleurs sociaux accompagnent quotidiennement des publics de plus en plus vulnérables, et se retrouvent parfois démunis face à l’ampleur de la tâche qui leur incombe. C’est pourquoi il est important qu’ils prennent en compte leurs affects pour pouvoir se préserver, et continuer à accompagner les usagers sereinement. Dans cet article, nous donnons des clés aux intervenants du social et médico-social pour qu’ils parviennent à mieux gérer leurs émotions au quotidien et ainsi à aborder leur travail avec plus d’efficience.
Accepter que les émotions aient toute leur place en travail social
En travail social, les émotions ont un rôle essentiel à jouer. Elles représentent même une compétence professionnelle si l’intervenant a appris à les reconnaître, à les accepter, et à y faire face afin d’y apporter une réponse adaptée. Les émotions influent sur la manière d’agir du professionnel, sur ses prises de décision.
C’est pourquoi il est important qu’il puisse parler de ce qu’il ressent, et autoriser ses émotions à s’exprimer. Pour cela, il faut lui reconnaître le droit de ressentir, de confier ces émotions qui le traversent pour qu’elles ne restent plus taboues. Malgré tout, ce travail n’est pas toujours facile, car certains professionnels ont du mal à se confronter à des émotions qui peuvent les faire souffrir.
Se donner le droit de ressentir des émotions
En travail social, les professionnels font face aux divers sentiments des personnes qu’ils prennent en charge : colère, peur, désespoir, etc.
Certains travailleurs sociaux trouvent gênant d’avouer que leurs accompagnés peuvent faire naître des émotions chez eux. Celles-ci peuvent être positives, mais aussi négatives (de la colère, par exemple). Ce sont ces émotions négatives qui sont susceptibles de poser le plus de problèmes.
Les professionnels accompagnent des personnes pouvant être en détresse, violentes, provocatrices, etc. Cela engendre obligatoirement des émotions chez ces travailleurs sociaux (de la peur, de la tristesse, du dégoût, etc.). Ces ressentis peuvent aussi renvoyer les professionnels à des moments douloureux personnels ou professionnels qu’ils ont déjà vécus antérieurement, et qui refont surface.
Exprimer ses émotions au travail peut être considéré comme tabou et nuire à la neutralité des intervenants, censés rester de marbre, quoi qu’il se passe. Pourtant, il est impossible de ne rien montrer alors qu’ils sont quotidiennement face à la détresse des personnes qu’ils accompagnent.
Un professionnel qui manifeste ses émotions montre que la relation est authentique, qu’il ne feint pas, et s’implique.
Rompre avec le dilemme de la proximité et distance
Souvent, lors de leurs formations, on inculque aux professionnels d’être à la fois proches et distants des personnes qu’ils accompagnent. Il faut pratiquer une écoute active et bienveillante tout en conservant une distance avec l’usager ainsi qu’avec leurs propres émotions. Ce principe est censé assurer le professionnalisme des intervenants et les protéger de la souffrance au travail.
L’institution crée une uniformisation des pratiques au détriment de l’affectivité. Il faudrait cacher la dimension affective de la profession.
Les professionnels sont ainsi amenés à taire les sentiments qu’ils éprouvent. Cette demande de non-implication affective génère de l’inconfort émotionnel et de la frustration chez les intervenants débordant d’empathie, car ils se sentent obligés de se retenir de transmettre leur affection.
Pour certains, le travail perd tout son sens, ils ont l’impression que la relation est déshumanisée. En fonctionnant de cette façon, l’institution reproduit ce sentiment de carence affective chez les usagers.
Ce principe de proximité et de distance est extrêmement difficile à appliquer puisque dans les métiers du social, l’aspect relationnel occupe une place prépondérante.
De plus, pour aider l’autre, il faut pouvoir rejoindre sa vision du monde, se mettre à sa place. Les travailleurs sociaux sont confrontés à de telles situations complexes qu’il leur est impossible de pouvoir refouler leurs sentiments.
Au lieu de considérer comme tabou le fait que les professionnels puissent s’attacher aux personnes qu’ils accompagnent, éprouver de la compassion, mieux vaut les aider à intégrer cette affection à leurs compétences en faisant en sorte que cela ne perturbe ni la personne prise en charge, ni eux-mêmes.
Les émotions sont un outil de travail : un accompagné qui perçoit les émotions du professionnel se sent mieux compris, a confiance. Du côté du professionnel, s’autoriser à ressentir ses émotions lui permet de mieux appréhender, comprendre la situation que vit l’usager.
Effectuer un travail émotionnel
Un professionnel obligé de cacher ses émotions se retrouve dans un état de dissonance émotionnelle, ce qui signifie qu’il est obligé d’exprimer un sentiment qu’il ne ressent pas réellement. Cela peut finir par entraîner de l’épuisement professionnel.
Si le professionnel effectue un travail émotionnel, c’est-à-dire s’il s’autorise à ressentir les émotions attendues, il a le sentiment de s’accomplir dans son travail et d’être efficace.
Mais la qualité de ce travail émotionnel dépend également de l’environnement du travailleur social : soutien des équipes, respect et approbation de la part des collègues lorsque le professionnel exprime ce qu’il ressent, reconnaissance de la sensibilité au travail, etc. C’est la qualité de cet environnement qui facilite ce travail.
La non-reconnaissance du travail émotionnel par l’institution peut faire naître un sentiment d’incompétence professionnelle chez les intervenants qui cherchent à être présents émotionnellement pour leurs accompagnés, car ils sortent du cadre qu’on leur impose. Cela peut avoir des conséquences sur la qualité des accompagnements. En effet, que le professionnel ait trop peu d’émotions ou qu’il les expriment excessivement, cela peut altérer son raisonnement, et donc sa façon d’accompagner.
Le fait de prendre conscience des conséquences que peuvent avoir les émotions sur la qualité des accompagnements doit les amener à repenser leur pratique professionnelle.
Utiliser des stratégies pour un travail émotionnel efficace
Plusieurs méthodes existent pour apprendre à ressentir, comprendre, et gérer ses émotions :
Développer son intelligence émotionnelle
Le concept d’intelligence émotionnelle a été évoqué pour la première fois en 1990 par deux psychologues américains : Peter Salovey et John D. Mayer. Il se définit comme la faculté qu’ont certains individus de déceler, comprendre, gérer, et extérioriser leur propre émotion, mais aussi d’appréhender celle des autres.
Au niveau professionnel, cette intelligence émotionnelle permet de mieux faire face aux situations de stress et de prendre des décisions plus facilement. Elle permet d’ajuster son comportement en fonction des émotions ressenties, mais tout en les maîtrisant.
Tout professionnel peut donc travailler son intelligence émotionnelle, car son degré diffère d’une personne à une autre.
Le modèle de Salovey et Mayer se compose de 4 branches :
- la perception émotionnelle : c’est la capacité à prendre conscience de ses propres émotions et à parvenir à les exprimer ;
- l’assimilation émotionnelle : l’individu arrive à différencier chaque émotion ressentie et à déceler celles qui exercent une influence sur le fonctionnement de la pensée ;
- la compréhension émotionnelle : la personne parvient à comprendre des émotions difficiles (par exemple, ressentir plusieurs émotions en même temps) ;
- la gestion des émotions : l’individu contrôle ses émotions, mais aussi celles des autres. En fonction de la situation vécue, il sait s’il doit continuer avec cette émotion ou, au contraire, l’abandonner.
Un professionnel qui développe son intelligence émotionnelle va pouvoir utiliser ses émotions de façon constructive et positive dans ses relations avec les autres, et se sentir plus serein. La notion de connaissance de soi est importante dans le concept de l’intelligence émotionnelle, car c’est elle qui permet au travailleur social de trouver des méthodes personnelles pour éviter l’usure professionnelle. Il peut également plus facilement comprendre les situations complexes, et prendre les décisions adéquates.
Adopter des stratégies de coping
Ce sont les psychologues américains Richard Lazarus et Susan Folkman qui ont défini le concept de coping dans les années 1970. Lorsqu’une personne vit des évènements anxiogènes, cela entraîne des perturbations émotionnelles contre lesquelles elle tente de faire face. On parle de coping (stratégie d’ajustement) pour indiquer la manière dont les individus s’adaptent aux situations compliquées, y font face.
Il existe deux stratégies principales de coping :
- le coping centré sur le problème : l’individu essaie de modifier la situation dans laquelle il se trouve en se confrontant au problème et en le résolvant. Il fait ici directement face à son problème (il s’informe auprès d’instances pour gérer un conflit, il pratique du sport pour contrer son stress, etc.) ;
- le coping centré sur l’émotion : ici, l’individu se concentre sur les émotions ressenties (envie de pleurer, de crier, etc.). Il peut utiliser des méthodes de gestion des émotions comme la relaxation, par exemple.
Il existe une troisième stratégie de coping, qui est celle de faire appel à un soutien : il s’agit d’une décision souvent difficile, car de nombreuses personnes préfèrent se débrouiller seules pour s’en sortir.
Les stratégies de coping permettent de prendre du recul, et de faire appel à ses ressources personnelles.
Se servir d’outils qui aident à mieux gérer ses émotions dans le travail social
Il existe un certain nombre d’outils qui peuvent aider les professionnels à accueillir leurs émotions et à les mettre à profit dans leurs accompagnements. Nous vous en présentons quelques-uns, car il en existe beaucoup d’autres (cohérence cardiaque, contrôle de la respiration, etc.) :
Les groupes d’analyse des pratiques
L’équipe est un outil essentiel pour les professionnels, qui peuvent ainsi parler de ce qu’ils vivent, réfléchir à ce qu’ils ressentent, et prendre du recul. Chacun peut verbaliser et confronter ses émotions, et ainsi comprendre qu’elles sont communes. En participant à des groupes d’analyse de la pratique, les travailleurs sociaux peuvent échanger sur les compétences et valeurs de chacun, se questionner ensemble. Ils comprennent que le dévoilement des émotions n’est pas le signe d’une incompétence professionnelle.
La communication non violente (CNV)
C’est le psychologue Marshall Rosenberg qui a fondé la CNV. Elle permet d’acquérir des méthodes pour se reconnecter à l’autre, en se basant sur la bienveillance et le non-jugement. La CNV permet de travailler sur soi, sur ses besoins, ses valeurs, ses croyances, et ses limites. Ce processus de communication porte sur 4 étapes :
- l’observation : quelle est la situation rencontrée, d’un point de vue neutre ? La personne observe, sans émettre de jugement ;
- le sentiment : comment est-ce que je me sens face à cette situation (en colère, apeuré, etc. ?
- le besoin : comme j’éprouve ce sentiment, de quoi ai-je besoin ? Identifier son besoin permet de mieux comprendre l’origine des tensions.
- la demande : elle doit être formulée de manière positive : « J’aimerais que tu viennes t’asseoir près de moi pour que l’on puisse discuter plus facilement. », par exemple, plutôt que : « Arrête tes caprices, et viens t’asseoir. »
La communication non violente permet de nouer des relations authentiques, de détecter et comprendre les besoins de chacune des parties.
La méditation de pleine conscience
Également appelée la mindfulness, cette technique a pour objectif de se centrer sur l’instant présent et de prendre en compte son état émotionnel. Ces exercices permettent de faire retomber la pression et de procurer de l’apaisement.
La thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT)
Elle a pour but d’aider les personnes à accueillir leurs émotions, pensées, et souvenirs pénibles, sans porter de jugement. L’individu se met ainsi dans une position d’observateur, il prend de la distance face à ses débordements émotionnels. Cette thérapie permet d’être dans l’ici et maintenant et de fixer des actions qui soient conformes aux valeurs de l’individu.
L’écriture
L’écriture a des vertus thérapeutiques et représente un réel outil permettant de mieux gérer ses émotions. Pendant la pandémie de Covid-19, de nombreuses personnes ont eu recours à l’écriture pour apaiser leur anxiété. La participation à des ateliers d’écriture ou la tenue d’un journal sont de bons moyens d’extérioriser ses émotions et de mieux les comprendre.
La formation
La formation continue permet d’aider les professionnels à mieux faire face aux situations qu’ils vivent au quotidien, et qui peuvent générer une importante charge émotionnelle.
Chez Epsilon Melia, nous avons conscience des risques psychosociaux qui touchent fortement les professionnels du secteur social et médico-social. C’est pourquoi nous avons créé une formation sur la gestion du stress et des émotions afin qu’ils puissent s’approprier des outils efficaces qu’ils peuvent mettre en place pour mieux gérer les situations qu’ils rencontrent.
Notre formation s’effectue sur 3 jours, en intra ou en inter, avec des formateurs expérimentés. Nous vous proposons une pédagogie novatrice en mêlant apports théoriques et mises en situation. Le théâtre a également toute sa place puisqu’il facilite l’appropriation des outils et le lâcher-prise.
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Livre conseillé : Le nouveau journal créatif : à la rencontre de soi par l’écriture, le dessin et le collage, Anne-Marie Jobin, Éditions Marabout.