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Regard d’une professionnelle sur la place des pères en crèche

Les sociétés évoluent et avec elles les représentations parentales. Longtemps assigné au rôle de « chef de famille », celui qui subvient aux besoins du foyer et garantit l’autorité, le père se positionne aujourd’hui différemment. Il s’investit pleinement auprès de son enfant, sur les plans affectif et éducatif autrefois réservés à la mère. Les professionnels de la petite enfance doivent ainsi compter avec ce nouvel interlocuteur. Christelle Hauvion-Roger, éducatrice spécialisée et systémicienne, nous présente les défis relatifs à la place des pères en crèche.

Les structures d’accueil à l’épreuve de la coparentalité

La coparentalité est un terme juridique qui s’est imposé dans la législation relative aux familles séparées. Si 2 personnes décident de mettre fin au couple conjugal qu’elles formaient, elles constituent et constitueront toujours un couple parental. En conséquence, le père comme la mère ont des droits et devoirs à l’égard de leur enfant.

Coparentalité, n. f. : Exercice conjoint des droits et des responsabilités de chacun des parents à l’égard de l’enfant. Le Robert [en ligne], 2023.

L’émancipation des femmes à partir des années 1960

Selon Christelle Hauvion-Roger, l’essor de ce concept dans les années 2000 s’explique par l’évolution des relations hommes-femmes. Dès la fin du XXe siècle, le déséquilibre culturel (la femme au foyer, l’homme au travail) est peu à peu révisé, débouchant sur une certaine équité dans les relations conjugales et les fonctions parentales.

« Dans les années 60, la femme était la femme de son mari, la mère de son enfant ». Mais les choses vont changer avec la loi du 13 juillet 1965 qui autorise les femmes à travailler sans l’accord de leur époux. Quelques décennies plus tard, elles investissent le monde professionnel et une forme de symétrie se met en place : aujourd’hui, dans 44 % des couples, l’homme et la femme occupent un emploi à temps complet. 

Pour les pères, un nouveau rôle à jouer pendant la petite enfance

Comme la place de la mère évolue, celle du père aussi doit être redéfinie : « la mère n’est plus omniprésente pour les enfants, puisqu’elle travaille », nous dit Christelle. « Elle laisse donc une place au père auprès du jeune enfant ». On avance ainsi vers un rapport plus équilibré, une relation donnant-donnant où la femme peut (entre autres) s’épanouir au travail et l’homme peut (aussi) consacrer du temps à ses enfants.

Car ce n’est pas le désir qui manquait ! Sur son blog d’infirmière puéricultrice Au lit Joséphine !, Flora donne la parole à ses consœurs à ce sujet : « l’homme avait très envie de cela, de s’occuper de l’enfant comme la mère s’en occupe », dit l’une d’elle. Libérés des clichés, les papas s’impliquent : « certes ils vont le faire différemment de la mère, mais moi je trouve qu’il n’y a pas de retenue des pères ».

D’ailleurs, la loi s’adapte. À partir du 1er juillet 2021, le congé paternité passe de 14 à 28 jours dont 7 obligatoires. « Cette durée fait passer la France d’une place médiane au niveau européen au peloton des 5 pays les plus avancés sur le sujet » peut-on lire sur le site du gouvernement. Notons que cette durée reste inférieure à celle du congé maternité : de 16 à 46 semaines selon la situation familiale. Peut-on espérer d’autres évolutions dans les prochaines années ?

Un défi pour les structures de garde : réinventer la place des pères en crèche

Quoi qu’il en soit, le système change. « Les professionnelles n’ont plus devant elles un duo mère-enfant mais une triade familiale », précise Christelle. L’institution doit, elle aussi, ménager une place aux pères. Elle doit accompagner ces papas dans leurs besoins et leurs envies, considérer ces nouveaux interlocuteurs et leur donner voix au chapitre.

Cette nécessité d’adaptation est un défi pour les structures multi-accueil petite enfance, comme le confie la consœur de Flora : « honnêtement là on est dans un changement de direction dans la prise en charge des enfants et des parents et on voit des papas réagir différemment par rapport à avant ».

La place des pères en crèche dans le cas de violences conjugales

Les situations de violence conjugale sont un cas particulier dans l’accompagnement des familles. 

Les violences intrafamiliales en structure d’accueil collectif

Christelle nous évoque une institution où elle est intervenue : cet établissement accueillait des enfants dont les pères étaient en prison. « Les professionnels ne voulaient pas qu’ils reviennent dans la vie de leur fille ou fils. Mais l’institution n’est pas la justice », nuance-t-elle. L’équipe a donc réfléchi à des stratégies pour faire alliance avec ces hommes lors des visites. « Il s’agit de les accueillir et de s’adresser à eux en tant que père, pas en tant que mari violent ».

Même quand il est absent, le père existe !

Car en réalité, tenir le père à distance ne supprime pas le problème. « Le père est toujours là même quand il est absent », rappelle Christelle. En effet : l’enfant y pense, les adultes autour de lui en parle, etc. Le père existe – il a participé à la conception de l’enfant. Pour Christelle, il est donc plus pertinent de l’accompagner que de l’écarter. « Nous entrons alors dans une démarche de soutien à la parentalité. »

Et pour les autres acteurs de la petite enfance, quid de la place des pères ?

Si nous avons centré cette enquête sur les établissements d’accueil de jeunes enfants, c’est parce qu’il s’agit du mode de garde préféré des Français. Mais la question de la place du père se pose pour d’autres lieux d’accueil : la maternité, la PMI (protection maternelle et infantile), chez l’assistante maternelle…

La place des pères à la maternité

Dans son article sur la place des pères en institution, Flora dresse un constat de terrain : à la maternité, les pères sont majoritairement absents des entretiens de sortie. Sur les 17 entretiens qu’elle a observés, 13 étaient menés en présence de la mère et de l’enfant, 4 avec le couple – et donc, aucun en présence du père seul avec son enfant. Après avoir interrogé ses collègues, Flora comprend que « ce n’est pas une volonté du père d’être absent mais l’organisation et les habitudes de services qui en sont responsables ». En fait, pour des raisons organisationnelles, l’entretien de sortie doit avoir lieu toujours sur le même créneau (12 h – 14 h), qui ne correspond pas forcément aux disponibilités des pères. Il serait donc intéressant de faire évoluer les pratiques, mais les moyens mis à disposition des hospitaliers sont souvent trop limités.

Les papas peu présents à la PMI ?

L’enquête de Flora se poursuit à la PMI, service départemental de protection sanitaire de la mère et de l’enfant. Or, l’infirmière puériculture (IDPE) qu’elle rencontre lui révèle croiser très peu de pères : les horaires d’ouverture du service sont peu compatibles avec leurs horaires de travail.

En outre, l’IDPE relève quelques lacunes dans l’accompagnement des papas avant et juste après la naissance. Lorsqu’elle demande à un homme comment celui-ci a vécu la grossesse de sa femme, il lui rétorque, étonné : « Et bien c’est la première fois qu’on me pose la question ! ». Une autre situation met en scène une mère reprenant le père en train de changer la couche de leur bébé : « À la maternité, on m’a montré, il faut faire comme ça ! ». Cette remarque implique que le père n’a pas été associé à l’explication des gestes par les professionnels – et que les mères peinent parfois à lâcher du leste, ce que confirme Christelle.

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Garde à domicile : un écho de la place des pères en crèche

En février 2022, nous avions consacré un article au roman de Véronique Dugelay, En toute confiance. L’autrice travaille avec les assistantes maternelles depuis plus de 20 ans et a construit ses personnages à partir de sa pratique. Il en est un auquel nous pensons au moment de clore cet article : Paul, le papa de Camille, très proche de sa fille et tout nerveux à l’idée de la confier à une personne extérieure. 

« Camille, notre petit bout d’amour… Camille qui illumine nos jours (et raccourcit nos nuits, il est vrai) depuis un peu plus de deux mois. Quand je pense à mon enfant, mon émotion est confuse, mêlée de joie profonde et de peur irrationnelle. »

Paul est, à n’en pas douter, un bel exemple de cette nouvelle paternité !

Merci à Christelle Hauvion-Roger pour ce partage.